L’horizon chimérique
Le 27 février 2012
Cet admirable poème visuel, pur produit de l’avant garde française des années 20, éblouit par son inventivité formelle. Il touche aussi par son amertume désabusée.


- Réalisateur : Germaine Dulac
- Acteurs : Emma Gynt, Raymond Dubreuil, Robert Mirfeuil
- Genre : Expérimental, Poème
- Nationalité : Français
- Durée : 40mn

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Cet admirable poème visuel, pur produit de l’avant garde française des années 20, éblouit par son inventivité formelle. Il touche aussi par son amertume désabusée.
L’argument : Une femme mariée, insatisfaite de son existence bourgeoise, se rend un soir dans un bar au décor de paquebot, L’invitation au voyage, et y rencontre un officier de marine qui la courtise avant de s’apercevoir qu’elle porte une alliance. Elle devra se rendre compte que sa quête d’une autre vie aventureuse, entrevue un instant, n’est qu’une chimère.
Notre avis : Annonçant dans un carton d’introduction qu’elle a essayé de transmettre les pensées par les images seules, Germaine Dulac, brillante cinéaste et théoricienne du cinéma, renonce presque entièrement aux intertitres dans ce poème cinématographique, variation impressionniste sur les vers de Baudelaire, qui n’est fait de que regards et de visions, d’associations mentales et de surimpressions.
L’invitation au voyage - 1927
L’invitation au voyage - Raymond DubreuilLes yeux écarquillés de la femme lorsqu’elle entre, le bas du visage caché par le col de sa cape, dans l’univers rutilant du bar chic qui concentre, tel un parc à thème, toute l’imagerie romanesque liée au monde des voyages au long cours et des marins* dit clairement la fascination pour les reflets (ceux de la porte tournante par exemple), l’agitation fourmillante, la foule d’accessoires évocateurs, la musique qui sont autant de tremplins à la rêverie (les regards perdus de l’assistance lorsqu’un un marin, vrai ou faux, joue de l’accordéon).
Ce miroitement s’oppose au vide d’une vie domestique réduite à une scénographie stylisée : deux fauteuils et une immense lampe devant un rideau ; les plans récurrents sur la pendule, le calendrier, la montre et le journal du mari toujours de dos.
Mais les badauds narquois que le portier chasse de l’entrée du bar annoncent d’emblée que l’univers déployé à l’intérieur n’est que spectacle et que l’échappée promise vers un ailleurs aventureux n’est qu’une illusion bon marché.
L’envers du décor est d’ailleurs révélé brutalement par la vision dégrisante d’une arrière cour encombrée de poubelles à travers un hublot imprudemment entrouvert par l’héroïne désireuse de voir la mer.
Pur produit de l’avant-garde française des années vingt, le film de Germaine Dulac éblouit par sa splendeur visuelle, son inventivité formelle, le rythme musical que le montage insuffle à son lancinant sur place (car il n’y a pas vraiment de progression dramatique et à peine une intrigue) mais touche aussi par sa cruauté désabusée et parvient à émouvoir en suggérant l’amertume des occasions manquées et des vies gâchées.
* Paul Vecchiali s’en souviendra peut-être en faisant chanter Jacqueline Danno dans le bar de L’étrangleur.