Prisonniers du passé
Le 16 octobre 2015
À défaut d’images pour évoquer son enfance dans le génocide cambodgien, Rithy Panh substitue au vide de la mémoire des statuettes en glaise. Coup de génie poétique et fascinant en forme de retour du refoulé.
- Réalisateur : Rithy Panh
- Acteur : Randal Douc
- Genre : Documentaire, Historique
- Nationalité : Français, Cambodgien
- Editeur vidéo : Arte Editions
- Durée : 1h32mn
- Date de sortie : 21 octobre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2013
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Année de production : 2013
À défaut d’images pour évoquer son enfance dans le génocide cambodgien, Rithy Panh substitue au vide de la mémoire des statuettes en glaise. Coup de génie poétique et fascinant en forme de retour du refoulé.
L’argument : Il y a tant d’images dans le monde, qu’on croit avoir tout vu. Tout pensé. Depuis des années, je cherche une image qui manque. Une photographie prise entre 1975 et 1979 par les Khmers rouges, quand ils dirigeaient le Cambodge. À elle seule, bien sûr, une image ne prouve pas le crime de masse ; mais elle donne à penser ; à méditer. À bâtir l’histoire. Je l’ai cherchée en vain dans les archives, dans les papiers, dans les campagnes de mon pays. Maintenant je sais : cette image doit manquer ; et je ne la cherchais pas - ne serait-elle pas obscène et sans signification ? Alors je la fabrique. Ce que je vous donne aujourd’hui n’est pas une image ou la quête d’une seule image, mais l’image d’une quête : celle que permet le cinéma. Certaines images doivent manquer toujours, toujours être remplacées par d’autres. Dans ce mouvement il y a la vie, le combat, la peine et la beauté, la tristesse des visages perdus, la compréhension de ce qui fut. Parfois la noblesse, et même le courage : mais l’oubli, jamais.
Notre avis : "Au milieu de la vie, l’enfance revient", dit le narrateur en ouverture de L’Image manquante. Depuis ses débuts au cinéma en 1988 jusqu’à il y a peu, le cinéaste franco-cambodgien rescapé des camps khmers rouges racontait le génocide - exigence irrépressible pour continuer à vivre - sans jamais aborder sa propre histoire à l’écran. C’est précisément cette vérité jusqu’à présent inexprimée sinon à l’écrit dans L’Élimination (2012) avec Christophe Bataille, qui resurgit dans L’Image manquante. Tel un retour du refoulé, un passé qui ne passe pas comme le laissent suggérer les vagues incessantes amorçant et clôturant le documentaire, le spectateur suit par bribes la vie d’un enfant de 13 ans. Celle où il vit périr sa famille lors d’un monstrueux programme d’élimination qui fit près de 2 millions de morts. Mais plus que les morts, plus que la destruction de l’ennemi du parti, corrige Rithy Panh, la machine khmère rouge détruisait aussi les parents et tous les amis qui lui survivaient.
Prolongement de S-21, la machine de mort khmère rouge et Duch, le maître des forges de l’enfer, dont il clôt la trilogie, L’Image manquante se veut plus personnel qu’à l’accoutumée. À la façon de Primo Levi et Art Spiegelman avec Si c’est un homme et Maus, Rithy Panh cherche quelque part grâce à L’Image manquante une forme de rédemption, de libération. Un peu comme s’il fallait conjurer par nécessité les quelque 300 heures passées à croiser le fer avec Duch et sa spirale rhétorique machiavélique. Poursuivant le travail initié avec L’Élimination, le cinéaste revêt son film d’une dimension littéraire. Les compositions de Christophe Bataille sont ici apposées délicatement sur de petits morceaux de glaise, bonshommes d’eau et de terre qui se substituent au vide de la mémoire avec poésie. Si l’image - celle détruite minutieusement par le régime de Pol Pot et ses sbires - est bien manquante, la force d’évocation de ces statuettes et installations n’en est pas moins sidérante. D’autant plus que cette terre utilisée pour composer les figurines - toutes plus expressives les unes que les autres - métaphorise ce qu’il reste des centaines de milliers de victimes - dont même les os ont jadis été réduits à l’état de cendre - du sanguinaire Kampuchéa démocratique.
"Avec de la terre et de l’eau […], avec des mains vivantes, on fait un homme", écrit avec subtilité Bataile. Tout l’art de Rithy Panh est peut-être contenu dans ces figurines, symbole de son aptitude indéfectible à trouver des solutions pour lutter contre l’effacement. Rarement le cinéma sera parvenu à dépeindre avec une telle épure les souffrances indicibles de tout un peuple, et à déjouer aussi efficacement les images de propagande filmées par le régime. Ou comment de simples petites poupées d’argile, animées d’une véritable humanité, peuvent restituer toute l’inhumanité de l’oppression khmère rouge. Reste dorénavant au spectateur à participer lui-même à cette reconstruction et à renouer avec le réel oublié, comme nous y incite Christophe Bataille à la fin du film : "cette image manquante, maintenant je vous la donne, pour qu’elle ne cesse pas de nous chercher".
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