L’idiot ! - la critique du film

Notre avis : Jusqu’ici, tout va bien … Au cœur d’une banlieue indigente russe comme il en existe tant d’autres, les miséreux croissent et se multiplient. Installée au sein d’une bâtisse des années 50, la racaille de la plus basse extraction noie ses tourments dans l’alcool et le jeu. Les hommes battent leurs femmes. Les adolescents tètent leurs joints. La marmaille abandonnée s’époumone. Une fissure serpente entre les briques de l’une des façades.

© Kinovista
Dima Nikitin, jeune plombier appelé sur place pour un problème de tuyauterie, est hypnotisé par la lézarde. Le sein de la sinuosité, noir comme de la poix, lui évoque la mort. Le bâtiment ploie sous son propre poids et s’affaisse. Il risque de s’écrouler d’un moment à l’autre, entraînant dans sa chute ses 800 habitants. Les fondations s’effritent à vue d’oeil. L’immeuble ne passera pas la nuit. Dima, qui partage le quotidien de ses parents avec sa femme et leur petit garçon, prend la décision d’agir quoi qu’il lui en coûte. L’idiot ! entame alors une danse de l’absurde où la corruption et la violence marquent le tempo.
Yuriy Bykov désemboite les poupées russes du système, une à une. De la première matriochka à la dernière, du plus puissant des dirigeants au plus insignifiant des fonctionnaires, tous courbent l’échine devant le pouvoir de Mammon. Pris au piège dans une galerie des glaces, Dima découvre les mille visages de la cupidité : Madame la maire, le chef de la brigade des pompiers, le dirigeant du département policier, le responsable immobilier … Grimaçantes, les figures ignobles de la politique examinent du coin de l’oeil les solutions les moins embarrassantes à une situation malvenue. Ce soir, on fête un anniversaire ! La vodka coule à flot et l’on se gave de caviar en riant à gorge déployée, avant d’essuyer ses gros doigts maculés de chair et de sang sur des serviettes de satin brodées. L’argent destiné aux réparations nécessaires est écoulé depuis bien longtemps, alloué à la construction de résidences secondaires, pots-de-vin, accessoires extravagants et folles soirées de débauche.

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Au cours de cette nuit éternelle où se jouent des centaines de vies et de morts, les masques tombent. Sur la scène de ce théâtre de la décadence, la dégénérescence morale gangrène les planches. La puanteur de la décomposition intellectuelle du monde saisit à la gorge. Dima, figure christique, est brisé par la bassesse des hommes. Ni la haute-société aux poches débordants de trésors matériels, ni le dernier barreau de l’échelle sociale qui végète dans la fange n’émet le souhait de s’extirper d’un quotidien mesquin et désoeuvré.
Le cinéaste ne perd jamais le sens des responsabilités. L’humilité des cadres statiques, la mesure de ses éclairages, la retenue de ses dialogues couronnent le propos d’épines. À chaque seconde sa tâche, à chaque séquence son dessein ; les scènes de banquet, Dima pressant le pas dans les rues désertes, les échanges haïssables des politiciens. L’idiot ! trouve son souffle dans l’oeuvre de Dostoïevski et celle-ci porte à bout de bras les espoirs des humanistes. L’immeuble s’effondrera et avec lui, les illusions qui demeuraient.