L’homme qu’on aimait trop - André Téchiné - critique

Critique : Depuis 1977, les affaires Le Roux et Agnelet ont défrayé la chronique judiciaire niçoise. Emblématique de la corruption du système Jacques Médecin, le maire de Nice, cette histoire de tentative de rachat de casino par une figure de la mafia italo-niçoise et des agissements d’un avocat véreux coupable ou non d’un crime parfait aurait pu tomber en de mauvaises mains. Or on sait André Téchiné habile à s’emparer d’un fait divers célèbre, en le greffant à son propre univers. C’était déjà le cas de La fille du RER, qui voyait également Catherine Deneuve aux prises avec la personnalité difficile de son enfant. La relation entre Renée et Agnès Le Roux permet de retrouver le cinéaste à son meilleur. On songe aussi et surtout aux rapports tendus entre une quadragénaire amoureuse (toujours Catherine Deneuve) et sa mère protectrice (Danielle Darrieux), dans Le lieu du crime, réalisé en 1986.

Copyright Mars Distribution

Adèle Haenel prend le relai générationnel et s’avère sublime dans le rôle de cette jeune héritière soucieuse de rompre avec la pression familiale et qui se brûle les ailes dans une passion sans retour. Une élégante structure en flash-back structure le montage, qui voit la vieille Renée Le Roux tenter de faire ouvrir à nouveau le dossier judiciaire vingt ans après la disparition de sa fille, avant que le romanesque de Téchiné ne vienne éclairer une histoire au carrefour du film policier et de la chronique de mœurs. D’une librairie branchée ouverte dans le Vieux Nice à une escapade en moto vers la Suisse en passant par les rituels à l’œuvre dans un casino en déclin, le film multiplie les ellipses narratives tout en s’efforçant de valoriser un scénario limpide, sans jamais faire le chantage à l’authenticité, dans une démarche inverse à celle des adeptes de l’histoire forcément « inspirée de faits réels ».

Copyright Mars Distribution

S’il est fidèle aux écrits de Renée Le Roux, Téchiné préfère distiller une tension dramatique nous permettant d’interpréter à notre guise certains propos tenus par les protagonistes. Ainsi, l’allusion d’un week-end en Italie durant la Toussaint 1977, et à l’occasion duquel s’est peut-être effectué le meurtre d’Agnès, n’est-il que suggéré, laissant le spectateur dans une lecture à deux niveaux. Et jamais le personnage d’Agnelet n’est ici présenté comme un machiavélique criminel ou un innocent bouc émissaire, ce qui donne à ce récit une tonalité singulière. On pourra malgré tout préférer le Téchiné qui se lance dans des projets plus risqués et novateurs, comme cela avait été à plusieurs reprises le cas depuis Souvenirs d’en France et Barocco.