Doux assassin
Le 18 janvier 2023
Entre Bresson et roman-photo, le troisième film de Vecchiali est un film de genre étrange au charme exquis et troublant.
- Réalisateur : Paul Vecchiali
- Acteurs : Jacques Perrin, Julien Guiomar, Nicole Courcel, Hélène Surgère, Eva Simonet, Paul Barge II, Jacqueline Danno, Sonia Saviange, Andrée Tainsy, Germaine de France, Muni, Jean-Claude Guiguet, Katia Cavagnac , Marcel Gassouk, Liza Braconnier
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller, Romance
- Nationalité : Français
- Distributeur : Shellac, Paramount Pictures France
- Durée : 1h37mn
- VOD : Orange, UniversCiné
- Reprise: 22 novembre 2023
- Date de sortie : 13 septembre 1972
L'a vu
Veut le voir
– Reprise en version restaurée : 22 novembre 2023
Résumé : Un enfant, Émile, au cours d’une fugue, est témoin d’un assassinat : un homme étrangle une femme à l’aide d’une écharpe blanche. Plus tard, aux abords de la trentaine, Émile essaie, en se promenant la nuit, de faire revivre cet instant "précieux".
Critique : Dans le programme du Festival Entrevues de Belfort de 2006, Paul Vecchiali (Les gens d’en bas) évoque « les cinq années, oppressantes, douloureuses » qu’il mit à monter le projet de son troisième long-métrage, après Les petits drames (1961, inachevé) et Les ruses du diable (1965). L’étrangleur ne porte pourtant guère de traces de cet enfantement difficile et a conservé la qualité somnambulique qui présida, selon son auteur, à l’écriture du scénario : « j’errais dans la nuit parisienne ou banlieusarde, attentif à tout ce qui s’y passait. En rentrant rue d’Alésia où j’ai habité de 1961 à 1966, je rédigeais, en somnambule, sans relire. À la fin, je me suis rendu compte qu’il y avait une histoire et qu’elle représentait pour moi un véritable enjeu. »
- Jacques Perrin dans "L’étrangleur"
- © 2023 Shellac Distribution. Tous droits réservés.
Le récit est donc à la fois simple et complexe, faisant se croiser les trajectoires de plusieurs personnages dont les motivations restent bien mystérieuses (ou trop évidentes, ce qui revient au même) : Émile, sérial killer gentil et attentionné (Jacques Perrin), atteint, comme il dit, de la « maladie du bonheur » en étranglant ses victimes consentantes avec des écharpes en laine qu’il tricote amoureusement lui-même ; Simon, le policier qui joue un bien étrange double jeu et finit par prendre la place de l’assassin ; Anna (Eva Simonet), la jeune femme déterminée (mais à quoi ?) qui se propose comme appât et navigue entre les deux ; ou encore le « chacal » qui poursuit Emile comme une ombre et détrousse les cadavres (Paul Barge).
Les femmes désespérées qui croisent la route d’Émile sont des héroïnes de roman-photo, des déesses fragiles et mortelles. Hélène Surgère esquisse avec une grâce poignante le rôle d’actrice déchue qu’elle développera dans Femmes femmes (1974). Jacqueline Danno chante, sur une musique de Roland Vincent, Je me ferai marin dans un bar de nuit invraisemblable où des filles déguisées en matelots sont couchées dans des hamacs suspendus au-dessus des tables. Katia Kavagnac, répétant seule dans une salle de danse, ne s’interrompt même pas à l’entrée de son assassin. Quant à Nicole Courcel, elle est irrésistible en erreur de casting, prostituée pas du tout décidée à se laisser tuer (Je veux vivre moi).
Le ton du film est, en effet, parfaitement indécidable et l’atmosphère flottante, envoutante, dans laquelle il baigne doit beaucoup à sa scène initiale que le héros cherchera à répéter inlassablement et aux apparitions récurrentes et fantomatiques de la « première femme » à laquelle Sonia Saviange prête sa voix si posée et son regard absent.
- Jacques Perrin et Éva Simonet dans "L’étrangleur"
- © 2023 Shellac Distribution. Tous droits réservés.
Car ce vrai faux film de genre, décalé mais refusant le deuxième degré, baigne dans un univers étrange et familier à la fois. Et le folklore du cinéma populaire des années 30 à 50 s’y associe à un réalisme quasi documentaire, le Paris de la fin des années 60 y étant à la fois observé avec exactitude et totalement réinventé.
Vecchiali est ici très proche de Jacques Demy, « autre amoureux de Bresson et de Danielle Darrieux. » L’un et l’autre cultivent le goût de la tragédie joyeuse, du naturalisme à paillettes et d’un humour exquis et déroutant (« Elles sont en quoi vos écharpes ? En laine ? - Non en soie, cela va de soi »).
Incompris par le public des salles d’art et essai en pleine période Mao, mais franc succès lors d’une reprise en salle de boulevards, L’étrangleur est une de ces œuvres singulières et précieuses qui jalonnent ce qu’on est tenté d’appeler « l’histoire parallèle du cinéma français », si riche en chefs-d’œuvre secrets et à contre-courant des modes ; des films signés Vecchiali, Biette, Gilles, Pollet, Guiguet ou d’autres encore et adressés à un public populaire qui avait déjà déserté les salles.
Galerie photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.