Chronique d’un suicide annoncé
Le 2 mars 2015
Ce premier long-métrage propose une immersion en milieu lycéen sur le thème de la mort. Le résultat laisse le spectateur entre indifférence et agacement.
- Réalisateur : Rok Bicek
- Acteurs : Igor Samobor, Dasa Cupevski
- Genre : Drame
- Nationalité : Slovène
- Durée : 1h52mn
- Titre original : Razredni sovraznik
- Date de sortie : 4 mars 2015
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Pour son premier long-métrage, L’ennemi de la classe, le réalisateur slovène Rok Bicek nous propose une immersion en milieu lycéen. Comment réagir face à la mort et à ce qui est étranger à un âge où l’on est encore bien impressionnable et où l’on est plus prompt à répondre par l’agressivité que par le dialogue à ce que l’on ne comprend pas ? Un point de départ des plus intéressants à partir duquel Rok Bicek élabore en fin de compte une expérience sociologique enclose sur elle-même dont le résultat laisse le spectateur entre indifférence et agacement.
L’argument : À l’arrivée de leur professeur principal remplaçant, une classe de sympathiques lycéens se trouve confrontée à une discipline accrue et à un enseignement plus austère. Ce professeur d’allemand concentre vite toutes les critiques. Les élèves mènent ouvertement la fronde. La tension monte, et quand une jeune fille de la classe se suicide, la responsabilité du professeur paraît indiscutable aux yeux de ses camarades. L’escalade des provocations ne fait alors que commencer, laissant les autres enseignants dépassés par les événements et les élèves face à toutes leurs violentes contradictions. © Paname Distribution
Notre avis : Une jeune fille seule à sa table dans une classe bourdonnante de lycéens enjoués à l’heure de la pause. Sans suspense ni surprise, le spectateur sait dès ce premier plan que c’est elle, cette élève solitaire, que le réalisateur va sacrifier pour les besoins de son expérience cinématographique. Réservée, effacée et mal à l’aise dans ce vivier lycéen, la jeune Sabina (interprétée assez justement par Dasa Cupevski, malgré quelques excès de théâtralité malvenus) ne fera pas long feu. L’instabilité de la caméra portée semble elle aussi figurer les fragilités du monde adolescent tout en matérialisant les tensions qui y sont encore sous-jacentes. Si l’on pourrait trouver que ces tremblements continus perdent de leur impact durant le film, on ne peut que saluer le choix du réalisateur et de son directeur de la photographie Fabio Stoll d’avoir privilégié la lumière naturelle tout en travaillant l’image de façon à lui donner des teintes froides, presque cliniques, alliant très intelligemment limpidité et sévérité.
© Paname Distribution
La rigueur, voilà ce qui attend les élèves. Jouant avec application le rôle de Robert Zupan, professeur remplaçant strict et intransigeant que les élèves vont se complaire à détester, Igor Samobor évite de tomber dans la caricature et livre une performance réussie. Les ingrédients sont réunis pour observer les effets d’un suicide dans une classe déséquilibrée par l’arrivée d’un individu clairement identifié comme intrus, un professeur d’allemand aux méthodes plus exigeantes et qui sort les élèves de leur bulle protectrice. Tel un roc résistant au torrent, le professeur poursuit immuablement l’étude de l’œuvre de Thomas Mann, ne laissant pas voir son émotion suite au suicide de Sabina. Cela ne veut cependant pas dire qu’il n’éprouve rien, comme en témoigne la belle séquence dans laquelle il croit entendre la jeune fille jouer du piano après sa mort, rare moment où le spectateur a véritablement accès à l’intériorité du personnage. Notons ici une particularité adroite du scénario : ce ne sont pas les raisons du suicide qui intéressent le réalisateur mais plus particulièrement les réactions face à la mort. « La mort d’un homme est davantage l’affaire des survivants que la sienne » comme l’écrit Thomas Mann et comme Robert Zupan le donne en sujet de dissertation aux lycéens en colère qui prennent le silence de leur professeur pour du simple mépris.
© Paname Distribution
Aveuglés par leur désir de révolte généralisée, les élèves sont incapables de voir les clés fournies par leur professeur pour surmonter et parler de leur deuil, notamment à travers la littérature. Faisant écho à un traumatisme historique encore présent dans l’inconscient collectif, le mot « nazi » pour qualifier l’ennemi est adopté et repris par les élèves frondeurs dans un comportement grégaire. Le scénario présente malgré tout une foule de personnages qu’il explore finalement peu, ce qui retranche progressivement les adolescents dans des types aux réactions des plus prévisibles, allant paradoxalement à l’encontre de la diversité des portraits esquissés. Parallèlement au groupe de jeunes, les adultes ne sont pas épargnés et s’avèrent tout aussi vains que les précédents. Exemple criant de l’impuissance des adultes que celui de la psychologue scolaire incapable de venir en aide aux adolescents car empêtrée dans ses métaphores de pieuvre et son charabia spécialisé. Le langage des adultes est l’occasion de moments relativement humoristiques qui peuvent prendre le spectateur au dépourvu. Tournés en dérision, les adultes ne représentent plus de repère pour les jeunes et le seul personnage solide – le professeur, toujours lui –, aussi glissant qu’une pierre recouverte de mousse, semble imperméable à l’établissement de tout lien social.
Pâtissant d’un manque de rythme et de longueurs qui achèvent de détourner le spectateur du film, L’ennemi de la classe s’avère être une chronique à laquelle on a du mal à adhérer. Davantage repoussé qu’interpelé par les situations dont il est témoin, le spectateur reste cet œil étranger, extérieur, et ce malgré sa position au cœur de la classe. Les événements s’enchainent sans proposer aucun défi au spectateur, tout se joue sans qu’aucune question n’ait à être posée dans la mesure où l’on devine bien en amont l’issue du conflit. Le dialogue entre les élèves et le professeur arrive, tant bien que mal, à la toute fin du film, trop tard pour constituer un réel intérêt et solvant la fâcheuse incompréhension en quelques mots. Certes, l’on comprend l’intention du réalisateur de montrer l’évolution des adolescents, comment l’épreuve du suicide de leur camarade et du sentiment de deuil – plus ou moins sincère – qui s’ensuit leur aura permis de grandir chacun à leur manière et chacun à leur rythme. Mais on a la désagréable impression que la solution du dialogue franc – pourtant la plus simple - aura été reléguée en dernier recours comme pour donner une leçon à ces jeunes. Un didactisme artificiel qui nuit finalement à la visée du film.
© Paname Distribution
C’est donc une vision particulièrement pessimiste des comportements humains que propose Rok Bicek. L’ennemi de la classe n’a rien d’un divertissement dont la légèreté nous ferait oublier les vicissitudes de la vie quotidienne, mais là n’est pas son tort. Le film pose frontalement la question du rapport à autrui - de l’intrus étranger comme des nos amis les plus proches - tout en montrant l’agressivité inhérente à l’homme, apparaissant dans une tentative désespérée de préservation de l’individu. Contre toute attente et en dépit des bonnes intuitions initiales du réalisateur, aucune piste de réflexion morale n’est proposée à partir de cette démonstration. La grande faiblesse du long-métrage réside dans l’incapacité du réalisateur à impliquer le spectateur dans son expérience sous vide et l’on ressort blasé d’un tête à tête de deux heures avec ses personnages.
© Paname Distribution
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