Kaspar, l’ingénuité de Dieu
Le 15 novembre 2010
Avec cette fable initiatique et poétique, Werner Herzog déifie le droit à la différence. Alors que sa complicité fructueuse et tumultueuse avec Klaus Kinski n’est pas encore entamée, il atteint déjà la grâce divine...
- Réalisateur : Werner Herzog
- Acteurs : Bruno S., Walter Ladengast, Brigitte Mira, Willy Semmelrogge, Michael Kroecher
- Genre : Drame, Historique, Drame historique
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : New Yorker Films
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 18 avril 2024 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Titre original : Jeder für sich und Gott gegen alle
- Date de sortie : 29 octobre 1975
- Festival : Festival de Cannes 1975
Résumé : Kaspar, enfermé depuis l’enfance, découvre le monde sous la conduite bienveillante du professeur Daumer. Il va vite se heurter aux codes et carences de ce nouvel univers qui va jusqu’à broyer son existence et son humanité.
Critique : Rares sont les cinéastes de la trempe de Werner Herzog. Ours d’argent à Berlin pour Signes de vie, il remporte avec L’énigme de Kaspar Hauser le Grand Prix spécial du jury au Festival de Cannes. Si son œuvre est indissociable de son "ennemi intime" Klaus Kinski (Woyzeck, Fitzcarraldo, Cobra Verde...), Herzog a trouvé l’interprète idéal pour "être" Kaspar Hauser. Mieux que l’inoubliable et habité Aguirre, il a déniché un parfait inconnu, Bruno S. (Schleinstein), ancien résident d’un asile de fous qui ne pouvait pas mieux correspondre au personnage (Herzog le retrouvera pour La ballade de Bruno).
En 1828, à Nuremberg, un homme attend (sans même remuer un cil) sur la place avec une lettre en main. Orphelin, taciturne et inexpressif, Kaspar Hauser sera recueilli par le professeur Daumer qui se chargera de son apprentissage. Jusqu’à sa mort et aujourd’hui encore, le mystère demeure entier quant à celui que l’on a surnommé "l’orphelin de l’Europe".
L’énigme de Kaspar Hauser rappelle à l’esprit L’enfant sauvage de François Truffaut. Moins axé sur le processus d’éducation que son prédécesseur, Herzog laisse planer le doute sur son identité (finalement, il aura emporté avec lui son secret dans la tombe !) pour dresser un jugement sans compromis de ses contemporains (même si l’action se déroule au début du XIXe siècle, ce n’est qu’un prétexte). Herzog crée sous nos yeux une ode qui clame le droit à la différence, transcendée par des images de nature (que Terrence Malick n’est pas le seul à filmer si divinement) et émaillée de songes (à couper le souffle, auxquels je songe encore) qui en disent long sur la pureté et la clairvoyance de ce simple d’esprit. L’univers que filme Herzog est celui de la marginalité et de la démence. Le titre original, Chacun pour soi et Dieu contre tous, exprime le rejet du réalisateur à l’égard de ses semblables qui appartiennent à une société à laquelle il ne veut plus croire. Et si le message perspicace à décoder entre les lignes était que le plus ignorant n’est pas toujours celui que l’on croit ?
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JIPI 11 mai 2012
L’énigme de Kaspar Hauser - Werner Herzog - critique
Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes : Ils ne m’ont pas trouvé malin. A vingt ans un trouble nouveau Sous le nom d’amoureuses flammes, M’a fait trouver belles les femmes : Elles ne m’ont pas trouvé beau. Bien que sans patrie et sans roi Et très brave ne l’étant guère, J’ai voulu mourir à la guerre : La mort n’a pas voulu de moi. Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu’est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde : Priez pour le pauvre Gaspar !.
Ces vers de Paul Verlaine écrits en 1873 sont destinés à un être mystérieux, hirsute, grimaçant, au sommeil lourd. Tenant à peine sur ses jambes.
Son infirmité est lourde traînée par des mains anonymes dans une nature verdoyante ondulant au rythme des vents.
Gaspar Hauser âgé d’environ seize ans et découvert au mois de Mai 1828 bras gauche tendu tel une statue de pierre au milieu d’une place sous les regards inquiets d’autochtones découvrant une telle posture. Il porte une lettre destinée à un capitaine de cavalerie et ne prononce qu’une seule phrase apprise par cœur :
« J’aimerais devenir un combattant comme le fût mon père."
Recueilli par la collectivité Gaspar montre une ignorance inégalée, il ne sait ni lire ni écrire, recrache ce qu’il mange, n’offre qu’un regard fixe envers ses protecteurs.
Un intérêt pour les bases de l’existence et néanmoins découvert, Gaspar nourrit patiemment un oiseau. Le contact de la chaleur et la douceur de la main d’un bébé déclenche des larmes. Ce jeune homme a des sens.
Les progrès sont fulgurants, il apprend le mécanisme de la nature, la musique, les sons, la parole mais le destin veille entretenant un mystère contrariant un mécanisme interne évolutif.
Werner Herzog habille ses œuvres d’échecs, Fitzcarraldo, Aguirre et Gaspar sont anéantis par des destins contradictoires programmés afin d’obstruer des mécanismes d’énergies, un genre de grandeur négative ou les oppositions sont des affirmations antinomiques.
Gaspar ne se délecte provisoirement que de cette seconde naissance intellectuelle offerte par des mots captés et renvoyés. L’encadrement est doux, patient envers cette entité à façonner, pourtant toutes ces sollicitudes sont vouées à ne pas réussir.
Ce curieux personnage emporte son parcours que l’on peut définir afin d’épiloguer sur un sujet bien mystérieux comme un bâtard le fruit d’un amour adultère escamoté à la naissance, un masque de fer gênant qu’il ne faut surtout pas faire grandir intellectuellement.
Ce n’est qu’une suggestion pour conserver la maîtrise d’un dénouement que Gaspar privé du potentiel d’une intuition divine ne peut fournir faute de temps. Le mystère Gaspar Hauser reste entier pour l’éternité.