La science du bricolage
Le 23 avril 2013
Réputé inadpatable, L’écume des jours s’impose déjà comme l’un des tournages les plus chers du cinéma français. Une ode au cinéma artisanal qui manque d’un peu de coeur...
- Réalisateur : Michel Gondry
- Acteurs : Audrey Tautou, Romain Duris, Gad Elmaleh, Philippe Torreton, Natacha Régnier, Vincent Rottiers, Alain Chabat, Sacha Bourdo, Zinedine Soualem, Omar Sy, Aïssa Maïga, Laurent Lafitte, Charlotte Le Bon, Claudine Acs
- Genre : Comédie dramatique, Fantastique
- Nationalité : Français
- Distributeur : StudioCanal
- Durée : 2h05mn
- Date télé : 29 juin 2024 22:15
- Chaîne : OCS Max
- Date de sortie : 24 avril 2013
Résumé : L’histoire surréelle et poétique d’un jeune homme idéaliste et inventif, Colin, qui rencontre Chloé, une jeune femme semblant être l’incarnation d’un blues de Duke Ellington. Leur mariage idyllique tourne à l’amertume quand Chloé tombe malade d’un nénuphar qui grandit dans son poumon. Pour payer ses soins, dans un Paris fantasmatique, Colin doit travailler dans des conditions de plus en plus absurdes, pendant qu’autour d’eux leur appartement se dégrade et que leur groupe d’amis, dont le talentueux Nicolas, et Chick, fanatique du philosophe Jean-Sol Partre, se délite.
Critique : Depuis que le fantasque Michel Gondry avait annoncé qu’il se lançait dans l’adaptation du surréaliste roman de Vian L’écume des jours, les imaginaires bouillonnaient d’une seule et même question : osera-il assez ou pas ? Gorgée d’imageries et de métaphores, de jeux de mots à toutes les phrases, l’œuvre paraissait sur la forme, infaisable. Au final, c’est sur le fond que ça flanche. Plastiquement, l’essai est à la hauteur de son maître : inventif. Chaises qui s’auto-rétractent, télescope GPS, et nuage volant facilitent esthétiquement l’immersion dans un monde que l’on sait pourtant d’ores et déjà, fabuleux.
Et pour transposer cet univers, Gondry a la bonne idée : l’onirisme carton-pâte. Conscient de l’incrédibilité des décors, aussi réussis soient-ils, le cinéaste prend le contrepied du spectaculaire et, à bord de son mini-kart, fuse vers l’enfance. Dès ce moment, la grandiloquence n’est plus de mise et le jeu peut commencer. Prêt, feu, partez ! Colin rencontre Chloé. Et sous une douce lumière « cottoneigeuse », la tendresse du premier amour peut s’installer. Un banc. Deux amants. Un baiser râté. Et le coup de foudre d’une course folle qui déjà s’enfonce dans l’obscurité.
Une obscurité qui n’en finira pas de grandir, dans le poumon de Chloé comme à l’écran. Et si la bande-annonce induit une romance légère, le film de Gondry est plus sombre qu’il n’y paraît.
Dès les premiers plans, la mort rôde discrètement dans un recoin du cadre. Chez Colin, elle n’a que l’embarras du choix pour se camoufler, l’appartement croulant sous des objets fantaisistes et animés. Géométriquement biscornu, l’appartement se construit sur une ancienne passerelle d’immeuble. Une configuration qui raccorde d’avec la légèreté du trop rêveur Colin. A l’intérieur, une décoration travaillée mais somme toute scolaire, voguant entre les années soixante-dix et un futurisme inconnu. En cuisine, une bonne surprise, la tête d’Alain Chabat alias Chef Gouffé dans le frigo ! Illusionniste et truqueur, l’héritier de Méliès se plait à jouer des tours. Et hop, une téléconférence gastronomique en direct du congélo, une joyeuse partie de patin à glace ensanglantée, et une course à la mairie transformée en jeu de petites voitures. Et si le cinéaste se roule avec bonheur dans le champ de la fantaisie bricoleuse, il n’en oublie pas moins de coller visuellement avec les incontournables du roman : anguilles tuyauteuses, pianocktail délirant, Biglemoi infernal et nénuphar cancérigène. Pris au piège de décors réalistes, ces bricolages rétro-futuristes ajoutent une touche mélancolique à cette première partie formellement colorée et fondamentalement acidulée.
Certes, le talent de bricoleur de Gondry n’est plus à démontrer. Reste qu’il n’est ici clairement pas un conteur. Sur-concentrée dans les décors, son originalité oublie complétement d’illuminer le reste : narration, cadrage, montage. Résultat : une platitude esthétique, une direction d’acteurs approximative et un manque de rythme (malgré les incessants mouvements de caméra) qui gâche la vision. Froide et désincarnée, l’interprétation d’Audrey Tautou s’éclaire en demi-teinte. Parfois on y croit, parfois pas. Et si Duris s’impose un peu plus convaincant dans son rôle de rêveur immature, sa tendance à la mono-expression faciale irrite la rétine... Mais le plus dérangeant dans cette histoire d’amour, c’est le peu d’émotion qu’elle dégage. Mécaniques, Colin et Chloé loin de guider la dynamique du récit, se laissent porter sur la vague de leur amour, jusqu’à l’écume. Hantés par l’œuvre originale, les acteurs (notamment Omar Sy) peinent à se détacher du dialogue plaqué à la lettre. De cette pléiade de comédiens, un seul se démarque et marque : Gad Elmaleh. Devenu Jean Sol Partre, l’acteur se métamorphose et, d’un jeu taiseux et lunaire, dessine le frisson en creux, « désnobise » son modèle et approfondit le personnage. D’obsédé et fanatique dans le roman, Chick finit ici inéluctablement drogué. Une modernisation du propos des plus intelligentes que l’on retrouve dans la truculente conférence de Jean Sol Partre (Philippe Torreton), où l’auteur défiguré en mode Lady Gaga, survole la foule de fans telle une rock star du vingt-et-unième millénaire. De cette tonalité que l’on pourrait presque qualifier ’’d’innocente noirceur’’, naît la force du film : l’ambiance. Si la structure laisse clairement à désirer (la pertinence d’une mise en abyme du roman lors de la séquence d’ouverture étant à prouver), le génie de Gondry se révèle dans son désir de dégradation atmosphérique. La maladie se déclare, la réalité aussi. Sur le cœur de Chloé, les fleurs se fanent en guise de guérison. A l’écran, les couleurs se ternissent. Bientôt le noir et blanc. L’idylle s’assombrit, la liberté prend l’eau et les murs se rétractent. Littéralement. Asservi au travail, à l’argent, et au cynisme d’une société massifiée, Colin se durcit. La beauté lumineuse de son monde a disparu. Autour de lui, du noir et du distordu. Décoloré, l’univers sombre dans une poésie noire et mortifère. Chloé s’éteint. Le film aussi. Au final, une adaptation de bric et de broc pleine d’inventivité mais vide d’audace, perdue dans la froide pantomime d’un amour presque sans émotion.
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birulune 5 septembre 2019
L’écume des jours - Michel Gondry - critique
Je l’ai pas vu mais je le déteste déjà. Pourtant j’ai lu le roman et je devrais voir ça, mais j’ai detesté la folie bancale d’un de ses précédents films onirique
Je kiffe Dupieux, le méta-cinéma est son crédo, Wes Anderson, son thème fétiche de la famille, Gondry j’ai pas accroché, il cherche pas à nous écarter de la réalité pour nous faire voir les sentiments, inverser les codes reste une intention louable, mais le retour à l’enfance est "en carton-pâte" et la folie douce de l’écume des Jours ne peut pas s’adapter à son univers, à moins d’en faire une œuvre édulcoré comme pour le cas du Festin Nu (oeuvre inadaptée au monde de Cronenberg, et tant mieux, gore et parodie de la sexualité pour les deux, et chacun à sa façon). Le duo Tautou/Duris reste aux yeux des français lié à l’incontournable romance de Klapisch dans sa trilogie, et voilà, tout est là...