Pas si belle époque
Le 11 février 2024
Une vie de femme(s) ; c’est ce que propose de nous faire découvrir Bertrand Bonello dans ce film oscillant entre tableau et fantasme, magnifiquement joué par une pléiade d’actrices. Un projet ambitieux du cinéma français à Cannes...
- Réalisateur : Bertrand Bonello
- Acteurs : Adèle Haenel, Noémie Lvovsky, Jasmine Trinca, Céline Sallette, Jacques Nolot, Hafsia Herzi, Xavier Beauvois, Louis-Do de Lencquesaing, Alice Barnole, Esther Garrel, Iliana Zabeth, Pauline Jacquard
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 2h02mn
- Date de sortie : 21 septembre 2011
- Festival : Festival de Cannes 2011
Résumé : À l’aube du XXe siècle, dans une maison close à Paris, une prostituée a le visage marqué d’une cicatrice qui lui dessine un sourire tragique. Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise, leurs rivalités, craintes, joies, douleurs... Du monde extérieur, on ne sait rien. La maison est close.
Critique : Au cœur de L’Apollonide, un personnage énigmatique, évanescent : la « femme qui rit », une prostituée violentée et défigurée par un client, et qui depuis sourit d’un rictus sans joie. Le nouveau film de Bertrand Bonello joue tout entier sur le contraste entre le masque et l’envers du décor, les feux de la rampe et la pénombre de la chambre à coucher. Les hommes qui viennent en ce début de siècle au bordel, de la même manière qu’on venait à d’autres époques au café ou aux courses, sont lâches ou ridicules ; on les distingue à peine et ils n’accèdent jamais véritablement au statut de personnages. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est de pénétrer dans le gynécée, où le quotidien suit son cours comme dans n’importe quel autre milieu professionnel, c’est-à-dire accompagné de ses rites, de ses codes et de sa hiérarchie. Usant habilement d’un procédé narratif classique, le scénario nous introduit, en même temps qu’un personnage débutant, dans le cénacle mystérieux de l’Apollonide ; mais la force du film est de faire cohabiter le caractère théâtral et orgiaque de la maison close avec le savon antiseptique et la crainte de la « chtouille », ces maladies vénériennes qui risquent de clouer les filles au lit. Si Bonello signe un vrai « film d’époque », c’est peut-être moins grâce à la vraisemblance des décors et des costumes que parce qu’il s’attache aux détails et à l’esprit quotidiens qui, loin du musée, dépoussièrent la période considérée et lui donnent au contraire un sentiment très fort de vie.
- © Haut et Court
Cette réussite tient également beaucoup à la distribution féminine, pour laquelle on ne citera injustement que deux noms, pour des rôles opposés : Adèle Haenel, beauté froide et boudeuse de Naissance des pieuvres ; et Noémie Lvovsky, en maquerelle humaniste, et qui démontre une fois de plus sa polyvalence. Le danger de ces belles performances féminines est qu’elles tendent parfois à engloutir la mise en scène, tentée de se reposer sur la seule virtuosité des actrices. Quelques séquences, toutefois, nous rappellent la force d’un film comme Tiresia, signe que Bertrand Bonello conserve malgré tout l’audace d’aller au bout de ses métaphores - on n’en dira pas plus, mais la « femme qui rit » nous offre peut-être l’une des plus belles scènes de larmes vues au cinéma... Cette plongée dans l’onirisme est d’ailleurs plus favorable au cinéaste que le parallèle qu’il esquisse, maladroitement, entre prostituées d’hier et travailleuses du sexe du monde contemporain ; comme si la Belle Époque que reconstitue le film ne relevait de toute façon que d’un fantasme collectif, perdu au seuil du siècle entre les réminiscences de Baudelaire et les pressentiments de Proust. Ignorés par le jury au Festival de Cannes, ces souvenirs de L’Apollonide méritent donc pourtant que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour jouir d’un spectacle rêveur et ambitieux que ne nous propose pas toujours le cinéma français.
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Jean-Patrick Géraud 8 novembre 2011
L’Apollonide - souvenirs de la maison close - Bertrand Bonello - critique
Film ambitieux et par trop virtuose pour le timide Jury cannois de cette année 2011, l’Apollonide nous épargne les poses décadentes et les discours réducteurs sur la prostitution. Refusant à la fois l’esthétisme creux et la vulgarité clinquante, Bonello nous surprend, faisant surgir la violence là où on ne l’attend pas forcément, mais ménageant aussi des moments de répit dans cette plongée en apnée aux côtés des filles du bordel. Un bordel digne d’un "Moulin Rouge", et surtout un grand "Bal des Actrices", savoureux d’un bout à l’autre.