Le jouet de la fatalité
Le 17 mai 2016
Jamais avant Julieta Almodóvar n’avait rabattu sur ses personnages le piège du fatum avec une telle résolution. Du grand art, digne d’une tragédie grecque.
- Réalisateur : Pedro Almodóvar
- Acteurs : Rossy de Palma, Dario Grandinetti, Adriana Ugarte, Emma Suarez, Michelle Jenner, Nathalie Poza, Daniel Grao, Inma Cuesta
- Genre : Drame
- Nationalité : Espagnol
- Distributeur : Pathé Distribution
- Durée : 1h36mn
- Date télé : 15 avril 2022 21:05
- Chaîne : Chérie 25
- Box-office : 724 993 entrées (France)
- Date de sortie : 18 mai 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
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Résumé : Julieta s’apprête à quitter Madrid pour toujours lorsqu’une rencontre inopinée avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía, la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía il y a peu. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec celle-ci, qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide alors de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours. Julieta parle du destin, de la culpabilité, de la lutte d’une mère pour survivre à l’incertitude... tout en espérant qu’un jour ses confidences puissent être lues.
- Copyright El Deseo - Manolo Pavón
Critique : Almodóvar a beau multiplier les fausses pistes dans Julieta, plaçant le spectateur dans une situation d’attente et d’espérance, le destin de Julieta se trouve dès le départ piégé par le fatum. D’abord ne serait-ce parce qu’elle introduit le récit de son passé depuis un présent déjà contaminé par le sort. Mais aussi parce que différents choix au cours de son existence n’ont cessé de refermer derrière elle la souricière de la fatalité. C’est notamment la rencontre dans le train avec cet homme mystérieux désireux de bavarder, mais que Julieta choisit de fuir. Décision lui faisant croiser Xoan dans un autre compartiment, et qui devient son amant. Au regard perçant et chaleureux du premier, Julieta préfère céder à la tentation de cet éphèbe dont la femme est sur le point de mourir. Dès cet instant, une chose en amenant une autre, tout le cheminement de la jeune femme ne sera plus pavé que de drames. L’analogie avec l’épisode mythologique de la rencontre d’Ulysse et de la nymphe Calypso coule de source : à l’instar du célèbre héros, plutôt aurait-il fallu pour Julieta braver les flots que de céder à la tentation de la chair. Tempête meurtrière, deuil, abandon... elle paiera très cher ses erreurs. Plus encore que la Vera de La Piel que habito, puisque l’on troque ici une prison de chair et de désir pour un cachot à l’échelle d’une vie entière.
- Copyright El Deseo - Manolo Pavón
Julieta est peut-être le film le plus tragique de Pedro Almodóvar, car jamais l’Espagnol ne s’était jusqu’à présent refusé à ce point à refermer une à une toutes les possibilités de rédemption de ses personnages. Dès l’ouverture, le voile rouge recouvrant la lourde statuette de bronze offerte à Julieta par l’amante de Xoan symbolise le poids de la faute, donne au film une atmosphère de malédiction. Infortune que Julieta ne pourra conjurer que par les mots cathartiques du passé : ceux tracés dans son carnet et s’adressant à sa fille disparue. Comme toujours chez Almodóvar, aucun protagoniste n’échappe jamais à sa vie antérieure. Il faudra pour Julieta attendre que ces nappes de passé inextricables resurgissent en un flash-back salvateur pour comprendre en partie la nature de son destin implacable. Le dispositif n’est pas nouveau, mais plus sobre que dans les films précédents du cinéaste. Il suffit par exemple d’un autoportrait de Lucian Freud pour signifier l’enjeu psychologique à venir : comme le peintre à l’égard de son propre visage, scruté au plus profond, c’est en ne lésinant sur aucun détail de sa vie, en ne s’épargnant à aucun instant, que la damnation peut être levée.
- Copyright El Deseo - Manolo Pavón
Contrairement à l’accoutumée, Almodóvar ne semble pas avoir défini de films matrices comme pour ses derniers drames (La Piel que habito n’existait qu’en vertu ds Yeux sans visage, de Tristana ou encore Vertigo). Même s’il faut probablement entrevoir en Marian (Rossy de Palma) une citation de la Mme Danvers diabolique de Rebecca, les analogies toutes cinéphiliques du réalisateur se font dorénavant plus rares. Faut-il y voir la preuve d’un nouveau virage de maturité dans la carrière du cinéaste ? Peut-être, car la mise en scène, splendide, se révèle plus rétive qu’auparavant à faire étalage de sa virtuosité. Quelques symboles ici et là suffisent à maîtriser l’ensemble avec subtilité, comme cette toile monochrome aux faux airs de Soulages pour peaufiner le piège. Si Julieta n’est pas le meilleur long métrage de Pedro Almodóvar, il figure incontestablement aux côtés de ses plus brillants. L’apparition d’une Rossy de Palma sardonique comme jamais est probablement le signe que le cinéma de l’Espagnol bascule dans une nouvelle ère. Où la belle Adriana Ugarte, possible nouvelle muse du réalisateur, aurait bien sa place.
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