Le 20 juillet 2016
David O. Russell livre une épatante déclaration d’amour à la création, à l’idée, aux femmes aussi, moins dans un féminisme revendicatif que dans une célébration tendre et attentionnée d’une féminité toute puissante.
- Réalisateur : David O. Russell
- Acteurs : Isabella Rossellini, Robert De Niro, Édgar Ramírez, Virginia Madsen, Bradley Cooper , Jennifer Lawrence
- Genre : Comédie dramatique, Biopic
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h03mn
- Box-office : 512 726 entrées France / 190 917 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 30 décembre 2015
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– Année de production : 2015
Résumé : Inspiré d’une histoire vraie, JOY décrit le fascinant et émouvant parcours, sur 40 ans, d’une femme farouchement déterminée à réussir, en dépit de son excentrique et dysfonctionnelle famille, et à fonder un empire d’un milliard de dollars. Au-delà de la femme d’exception, Joy incarne le rêve américain dans cette comédie dramatique, mêlant portrait de famille, trahisons, déraison et sentiments.
Notre avis : Depuis quelques années maintenant, David O. Russell n’a de cesse d’être dévalué par comparaison. Désigné comme un Scorsese-du-pauvre pour American Bluff, Joy sera l’occasion pour beaucoup de parler de Coen-du-pauvre, Joy débutant la conception de sa « serpillière miracle » par un ovale sur une feuille blanche, rappelant le rond du Grand Saut, forme géométrique qui semblait à l’origine de toutes les créations populaires américaines dans le film des frères Coen. Mais David O. Russell n’est pas un piètre imitateur, si ses films en rappellent d’autres c’est parce qu’au même titre que les illustres noms qui servent à le desservir, c’est un grand cinéaste de l’Amérique, s’attachant à faire le portrait film après film des mythes qui la constitue. D’autre part, le réalisateur de Fighter et Happiness Therapy est critiqué par ceux qui voient d’un mauvais œil la sortie de ses films en fin d’année, c’est à dire en pleine course aux oscars, faisant de lui un opportuniste en quête de prix d’interprétation. Là encore, et le temps sera probablement propice à la réévaluation de ses films, le réalisateur subit des foudres bien mal guidées.
- © 2015 Twentieth Century Fox
- © 2015 Twentieth Century Fox
Véritable tyran de plateau, O. Russell n’accepte rien de moins qu’une interprétation habitée et une implication totale de ses acteurs. Car si le réalisateur parle en filigrane de l’Amérique dans tous ses films, il le fait toujours au travers de personnages uniques et sincères qu’il filme avec une tendresse sans pareil. Joy sera donc de nouveau l’occasion pour les détracteurs du cinéaste de confirmer leurs dires, mais plus important, il sera l’occasion pour les autres de confirmer dans Joy la présence de l’un des plus grands cinéaste américain en activité aujourd’hui.
Sur ce point, les premières secondes de Joy sonnent comme un pied de nez du cinéaste envers ses détracteurs. Critiqué pour son style extravagant, son film est lancé tambour battant par une musique rock et un mouvement de caméra aérien ultra sophistiqué. Les critiques se frottent les mains. Et puis la musique s’adoucit, la guitare laisse place à quelques notes de piano, la caméra retombe au ras du sol pour filmer Joy, petite fille, jouant dans la neige avec son amie. Le cinéaste semble ainsi nous dire que son style immédiatement reconnaissable, fait de travellings avants tapageurs et steadycam virevoltante, ne prendra jamais le pas sur Joy. C’est d’elle et d’elle seule dont il est question ici. Jouant dans la neige en riant, imaginant de ses mains de fantasques constructions de papier, Joy entrevoit dans les mots de sa grand-mère son avenir idyllique. Un beau garçon, des enfants à elle et pleins de belles choses qu’elle construira. Mais avec lucidité, O. Russell place la petite fille et sa grand-mère en contre-jour, laissant la mère de Joy, une femme au foyer aigrie, clouée au lit par la peur du monde extérieur, au centre du plan, en pleine lumière. Par ce dispositif, cette mère incarnée par Virginia Madsen s’annonce par sa disposition au second plan et comme récepteur des lignes de fuite comme le véritable avenir de Joy, bien éloigné des plans bienveillants de sa grand-mère.
- © 2015 Twentieth Century Fox
- © 2015 Twentieth Century Fox
Et cela ne manque pas, Joy a maintenant dix-sept ans de plus et les rêves ne sont plus d’actualité. Si David O. Russell donne à son film des allures du conte de noël, aucun des personnages n’est à sa place. Le prince charmant est un mari divorcé qui vit au sous-sol, le père est la princesse en quête d’amour et la sorcière prend la forme d’une demi sœur mal attentionnée. Avec son habituelle maîtrise dans la direction d’acteur, O. Russell filme ce cocon familial bruyant comme une prison dont Joy devra s’extraire, délaissant l’énergie très screwball comedy de ses précédents films pour représenter la famille dans un ton bien plus amer et asphyxiant. Mais aussi pénible puisse être la situation de Joy, elle reste au même titre que la chambre dont ne sort jamais sa mère, sa « zone de confort ». Comme le disais Paul Atreides dans Dune : « Le dormeur doit se réveiller ». Et chez David O. Russell, le réveil prend la forme d’un retour poignant à l’enfance. Propulsée dans l’église des rêves brisés où sa famille la force à enterrer la petite fille qu’elle était, Joy comprend que telle la cigale qui peut hiberner pendant dix-sept ans, il est temps de se réveiller.
La renaissance vient de l’enfance, cette part qu’O. Russell s’est employé a filmer avec tant de tendresse au début du film. Pour lui l’enfance et la création ne font qu’un. Quand on est un créateur, un rêveur, on est un enfant. Rêver c’est retourner à ce stade de la vie où n’agissent pas les contraintes du monde adulte, un stade dans lequel les idées sont déraisonnables, absurdes, insensées, dénuées de la trivialité de la faisabilité. Tout juste réveillée, Joy prend papier et crayon, file dans la chambre de sa fille et se met à l’ouvrage, passionnée, habitée par son projet. Joy devra à partir de son réveil qui l’a ramenée dix-sept ans en arrière, avant son hibernation (a t-on en passant développé une plus belle image de la « seconde chance » au cinéma ?) de nouveau grandir, mais cette fois grandir « pour de vrai », pas comme elle l’a fait jusqu’à présent en soutenant sa famille à bout de bras mais en s’imposant à tous comme la matriarche que sa grand-mère voit en elle, la réussite de son projet au sein du monde le plus adulte qui soit, celui de l’entreprise et de la finance, se fondant ainsi totalement dans son émancipation et son accomplissement personnel.
- © 2015 Twentieth Century Fox
- © 2015 Twentieth Century Fox
Chez David O. Russell, il y a toujours plusieurs choses qui se jouent à l’écran, et la partie immergée est rarement la plus intéressante. Les palabres de Christian Bale dans American Bluff avaient par exemple peu d’intérêt par rapport à l’arnaque qui se jouait silencieusement derrière elles, et encore derrière, l’enjeu du couple qu’il formait avec Amy Adams, prêt à tout pour survivre. O. Russell est en effet l’un des derniers réalisateur actuel à laisser son spectateur discerner ce qui est vraiment important dans chaque scène et c’est encore le cas dans Joy. Lorsque, dos au mur, elle se dirige déterminée vers le club de tir, elle prend le pistolet et décharge cinq balles furieuses et libératrices. Derrière cette scène iconique, nous comprenons que Joy décide de faire une seconde hypothèque sur sa maison, de tout risquer. Derrière encore, la scène nous renvoie à un dialogue antérieur avec son investisseur qui lui demandait avant d’entrer en affaires si face à un concurrent, elle serait prête à « prendre le pistolet », si elle serait prête à tout. Joy prend le pistolet littéralement signifiant qu’elle ira jusqu’au bout, quitte à tout perdre.
Plus tard encore, Joy délaisse la jupe sophistiquée pour un pantalon simple et ordinaire. Au premier plan, c’est Joy qui reste elle même malgré les projecteurs, derrière c’est la femme moderne qui n’a pas besoin de se soumettre aux standards de beauté pour s’imposer et derrière encore l’idée d’une transformation économique et publicitaire où l’homme ordinaire devient le sujet de prédilection de la télévision. Tout le film fonctionne ainsi, par strates. O. Russell délaisse son goût pour l’improvisation et se repose entièrement sur un script brillant qui offre à lui seul de multiples sens de lecture, travaillant au corps cette Amérique en mutation, des Campbell Soup au télémarketing, en gardant toujours au centre une femme qu’il filme comme une héroïne mythique.
- © 2015 Twentieth Century Fox
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Et Joy est mythique à plus d’un titre. Pour la caractériser, David O. Russell revient au genre le plus fondateur de la culture américaine, le western. Outre la métaphore du pistolet, Joy s’accomplit enfin dans sa démarche, son allure et parcoure les rues de Dallas peuplées de cowboys avec une fierté non dissimulée. Le choix à la toute fin du film de se recentrer sur une victoire mineure de Joy plutôt que sur le reste de sa carrière montre ce qui intéresse vraiment le réalisateur. Joy avance face caméra, dominante, puissante, souriante. C’est ce sentiment là plus que les accomplissements réels, ce sentiment de puissance, cette fierté qui vibre au fond des tripes, qui intéresse O. Russell. La réussite importe peu, le sujet de la réussite non plus, ce qui importe c’est la fierté d’être une femme, la fierté d’être quelqu’un qui se bat, qui sort de sa zone de confort et s’émancipe de son milieu. À travers Joy, David O. Russell livre une épatante déclaration d’amour à la création, à l’idée, aux femmes aussi, moins dans un féminisme revendicatif que dans une célébration tendre et attentionnée d’une féminité toute puissante. O. Russell célèbre ceux qui avancent terrifiés dans le monde, tâtant des mains dans la pénombre à la recherche de quelque chose sur lequel s’appuyer. À travers Joy, O. Russell célèbre ceux qui ont pris, prennent et prendront le pistolet.
Le Test blu-ray
Edition épatante d’un film qui n’a pourtant pas brillé au box-office français avec à peine plus de 510.000 entrées en France.
Les suppléments :
Excellente interview de plus d’une heure de Jennifer Lawrence, foudroyante de beauté, et du réalisateur David O’Russell. Une sorte de masterclaqss décontractée où la complicité du tandem est visible, quand l’engagement féministe de l’actrice est de chaque instant. Passionnant.
On est moins conquis par le supplément de 20mn sur la vraie Joy...
Pas de bande-annonce, mais une galerie photo. On aurait préféré l’inverse.
L’image :
Elles est totalement resplendissante, convoquant toute la finesse du support HD pour sublimer les détails, caresser les couleurs, impliquer l’arrière-plan. L’un des plus beaux masters de cette année 2016.
Le son :
Comme toujours chez la Fox, pas de piste HD Master Audio en VF, mais un simple DTS. Le doublage est bon, la piste correcte, mais loin de l’épatante piste HD Master Audio de la VO que l’on ne saurait trop vous conseiller, dans le naturel des voix, posées au bon niveau dans un environnement sonore riche et constant.
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