Un si doux visage
Le 2 août 2015
Le film qui révéla le cinéma philippin et un auteur majeur a fait l’objet d’une restauration numérique présentée à Cannes Classics 2015.
- Réalisateur : Lino Brocka
- Acteurs : Hilda Koronel, Mona Lisa, Ruel Vernal, Rez Cortez, Marlon Ramirez
- Genre : Mélodrame
- Nationalité : Philippin
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 1h35mn
- Reprise: 22 juin 2016
- Date de sortie : 6 décembre 1978
- Festival : Festival de Cannes 1978, Festival de Cannes 2015
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Résumé : Insiang habite un bidonville de Manille avec sa mère, la tyrannique Tonya. Elle se démène corps et âme pour survivre dans ce quartier où chômage et alcoolisme font partie intégrante du quotidien. Un jour, Tonya ramène chez elles son nouvel amant, Dado, le caïd du quartier, en âge d’être son fils. Ce dernier tombe rapidement sous le charme de sa nouvelle « belle-fille »…
Critique : Le cinéma philippin a été honoré à Cannes 2015 avec la sélection de Taklub de Brillante Mendoza dans la section Un Certain Regard et la présentation de Insiang (1976) à Cannes Classics. Maître incontesté du cinéma philippin des années 70 et 80, Lino Brocka est un auteur majeur du septième art. Adulé par la cinéphilie en son temps, il est tombé dans un injuste oubli depuis sa mort prématurée en 1991, oubli d’autant plus regrettable qu’aucune édition DVD de son œuvre n’a été entreprise. La projection d’une version restaurée de Insiang a été en ce sens un événement (1). En attendant une sortie en salle ou en DVD, les spectateurs les plus impatients pourront regarder la version d’époque sur YouTube, avec des sous-titres anglais. L’intrigue du film montre l’influence du néoréalisme et du polar de série B hollywoodien dans l’univers de Brocka, qui a cependant confié l’écriture du scénario à Mario O’Hara.
- © Carlotta Films
Tourné avec un petit budget dans les rues de Manille, Insiang frappe d’abord par son aspect documentaire, le cinéaste ayant dirigé ses acteurs professionnels loin des studios, en utilisant les habitants de la capitale comme de véritables figurants, et en partant d’un matériau réaliste. La première séquence est à ce titre impressionnante, qui décrit l’abattoir où travaille Dado : le cri des bêtes imprègne la bande sonore, tandis que leur sang éclabousse la caméra. Cette entrée en matière anticipe la cruauté et la noirceur qui vont se dérouler pendant les 95 minutes d’un récit épuré et incisif. Les scènes documentaires (l’errance d’Insiang dans Manille après une nuit d’amour, les ventes sur le marché) alternent avec une dramaturgie qui révèle l’aisance de Brocka dans la veine du mélo flamboyant. La rivalité entre la mère et la fille fait ainsi écho au conflit qui opposait Lana Turner et Sandra Dee dans Mirage de la vie (Douglas Sirk, 1958), tandis que le calvaire d’Insiang rappelle la souffrance de certains personnages de Fassbinder, un cinéaste dont le style et la thématique ont des correspondances avec l’univers de Brocka. L’irruption récurrente de la violence physique et verbale, loin d’être une échappatoire aux aspects sentimentaux du film, en est un aboutissement, tout acte d’attachement et d’amour débouchant sur une tension extrême.
- © Carlotta Films
Cette vision sombre des rapports affectifs est montrée en parallèle des difficiles conditions de travail du peuple philippin, la critique sociale étant également une préoccupation du cinéaste. Il n’est pas surprenant que les films de Brocka aient aussi été des succès populaires aux Philippines, tant le contexte sociologique était crédible. Et la linéarité de l’histoire est ici en harmonie avec la maîtrise des codes du cinéma de genre. Tout ceci ne pouvait que toucher un large public, sans que le cinéaste renonce à ses exigences artistiques. C’est à cela que l’on reconnaît certains très grands réalisateurs. Lino Brocka dirige en outre admirablement ses acteurs. Hilda Koronel, son interprète fétiche, a la beauté d’une Gene Tierney et montre avec finesse les zones d’ombre de son personnage au si doux visage. Dans le rôle de sa mère, Mona Lisa lui donne la réplique avec un professionnalisme digne des plus grandes. Les deux comédiennes ne sont pas pour rien dans le pouvoir de fascination de cette perle rare.
(1) Le film a été restauré par The Film Foundation pour le World Cinema Project de Martin Scorsese. Le travail a été effectué par la Cineteca di Bologna/L’Immagine Ritrovata, et financé par le World Cinema Project de la Film Foundation et le Film Development Council des Philippines.
– Metro Manila Film Festival 1976 : Meilleure actrice pour Hilda Koronel - Meilleure photo - Meilleur acteur dans un second rôle pour Ruel Vernal - Meilleure actrice dans un second rôle pour Mona Lisa
– Gawad Urian Awards 1981 : Meilleur film de la décennie
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