Une nuit en enfer
Le 29 mars 2016
Après Blue Ruin, Jeremy Saulnier se laisse aller à un exercice de style classieux à la sauce survival adulescent. Nouveau trip crépusculaire aux confins de la sauvagerie qui laisse pantelant.
- Réalisateur : Jeremy Saulnier
- Acteurs : Patrick Stewart, Imogen Poots, Anton Yelchin, Macon Blair
- Genre : Épouvante-horreur, Teen movie, Survival
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h34mn
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 27 avril 2016
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Après Blue Ruin, Jeremy Saulnier se laisse aller à un exercice de style classieux à la sauce survival adulescent. Nouveau trip crépusculaire aux confins de la sauvagerie qui laisse pantelant.
L’argument : Au terme d’une tournée désastreuse, le groupe de punk The Ain’t Rights accepte au pied levé de donner un dernier concert au fin fond de l’Oregon… pour finalement se retrouver à la merci d’un gang de skinheads particulièrement violents. Alors qu’ils retournent backstage après leur set, les membres du groupe tombent sur un cadavre et deviennent la cible du patron du club et de ses acolytes, plus que jamais déterminés à éliminer tout témoin gênant…
Notre avis : Jeremy Saulnier poursuit son exploration désabusée de l’Amérique, avec à la clé la même effronterie gore, et fatalement le même attrait pour les tonalités macabres. Après l’épave roulante bleue à laquelle se rapportait son malicieux Blue Ruin, l’Américain place rigoureusement Green Room sous l’égide du vert. Au sortir d’un concert dans un bar truffé de skinheads néonazis, les Ain’t Rights se retrouvent dangereusement confinés dans une salle aux néons verdâtres. Là où le bleu du précédent opus, narquois, renvoyait plus à une lividité cadavérique qu’à l’azur, le vert de Green Room convoque le glauque plutôt que les verts pâturages. Pas de revirement surprise, donc, dans l’univers crépusculaire et railleur du cinéaste. C’est qu’un cadavre mystérieux encore chaud gît bientôt aux pieds des membres du groupe, tombés dessus par un fâcheux hasard. Problème : cette sinistre découverte n’est pas du goût du leader fascisant local. Et celui-ci va mettre à contribution ses sbires réunis dans le bar adjacent pour massacrer les punks un à un. Sépulcre en devenir, l’espace environnant, pourtant déjà initialement lugubre, se mue peu à peu en un tombeau nauséabond aux issues sur le point d’être condamnées. Dès lors, la structure de Green Room se précise, délaissant la logique du teen movie au profit de celle du survival (ou plus spécifiquement de celle du « film de siège »). L’on s’attend un instant à une attaque frénétique à la manière d’Assaut, film culte de John Carpenter reprenant en creux le Rio Bravo d’Howard Hawks. Mais l’affrontement se veut nettement plus resserré et réaliste dans Green Room, plus dans l’esprit de Délivrance (John Boorman, 1972), voire de Les Chiens de paille (Sam Peckinpah, 1971). Une chose est sûre, les héros n’existent pas dans le monde dépeint par Jeremy Saulnier. Ou c’est dans les moments les plus désespérés et sous les traits les plus inattendus que ceux-ci émergent, comme par accident.
Green Room prend son temps pour refermer le piège du survival sur les protagonistes, un peu comme dans Une nuit en enfer. Les punks sympathiques des Ain’t Rights sont d’abord caractérisés avec minutie en un road trip liminaire et aviné. L’occasion de définir subtilement les relations qu’entretiennent les différents personnages tout en moquant affectueusement leurs vaines espérances et leur désinvolture artificielle. Jadis chanteur dans un groupe punk, Jeremy Saulnier croque cet aspect avec une nostalgie jubilatoire. Les titres composés par les frères Brooke et Will Blair, pimentés notamment par le jouissif "Nazi Punks Fuck Off" des Dead Kennedys ou le "Sinister Purpose" de Creedence Clearwater Revival, font mouche. Mais contrairement à la déferlante primitive que laissait présager la punk attitude de Green Room, la mise en scène s’avère très maîtrisée, allant même jusqu’à se parer d’un certain lyrisme. Quelque part, le film s’apparente parfois à un teen movie que réaliserait Jeff Nichols ou Evan Glodell, dans la veine du jeune cinéma indépendant US. Si ce n’était les couleurs volontairement ternes et cet espace hostile où s’introduisent petit à petit les musiciens, l’horreur n’est pas toujours prégnante. A priori à des années lumières de l’atmosphère poisseuse de Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), ou même de l’ouverture furieuse de Blue Ruin, le long métrage cache cependant son jeu. Préférant un rythme lancinant, plus proche du rock progressif que du punk, plutôt qu’une scansion syncopée, le réalisateur ne libère la violence que par brusques shoots sadiques, environ à mi-parcours. Une mécanique, peut-être, préparait le spectateur à ces chocs épileptiques larvés : le ralenti figurant les néonazis en plein pogo au rythme du set des Ain’t rights - calme avant la tempête. Ballet vaporeux et moite, cette scène laisse présager l’horreur à venir : le punk hardcore des Ain’t rights, aussi virulent soit-il, n’apparaît plus que comme une envolée poétique. Versification égarée dans un monde cerné par une fureur sanguinaire qui ne dit pas encore son nom.
Une fois les pions en place, lorsque la souricière se rabat cruellement sur les adolescents, Jeremy Saulnier déploie toute sa créativité au service d’une barbarie viscérale. La mort et la souffrance font l’effet de simples contingents, s’abattant avec une maladresse toute perverse. Des lames invisibles mais diaboliquement affûtées meurtrissent les chairs. Les mâchoires de quelques chiens dressés pour tuer explorent hors champ les entrailles en des gargouillis éloquents. Tuméfiés et boursouflés, les membres déchiquetés apparaissent parfois plein cadre dans une lumière olivâtre bien cradingue. Les mises à mort sont brutales et inopinées, à la limite du grotesque mais pourtant plus vraies que nature. On est bien là en présence d’un film de genre tout ce qu’il y a de plus gore et sans concession, entre le naturalisme et la nature morte. Cette exégèse de l’hyperviolence a quelque chose d’insoutenable, mais ses héros d’un jour gardent sauve la fiction. Avec une spontanéité irrévérencieuse, Saulnier donne en effet corps à son attrait pour l’horreur sans compromis mais conserve à la marge ce qui la rend acceptable : la fin de l’adolescence et la plongée dans le monde adulte. Le punk et son vent de liberté jusqu’au-boutiste a quelque chose de jouissif et de cathartique, mais cette désinvolture ne prémunit pas contre les excès du monde moderne - ici l’ultraracisme. Ces adulescents naïfs se retrouvent prisonniers dans une sphère à l’exact opposé du modèle anarchique qu’ils défendent, et s’apprêtent à perdre la vie ou au mieux l’innocence. Si le sous-texte d’une Amérique gangrénée par l’extrémisme affleure, là n’est pas vraiment le sujet recherché par Saulnier. Non, les Ain’t rights gardant la vie sauve réussissent dans le même temps à se révéler à eux-mêmes en une implacable épiphanie. En cela, le cinéaste transforme le survival gore en parcours initiatique beau et subtil, tout en préservant son côté grand-huit purificatoire. Une performance qui, sous couvert d’humour noir (rappelons que l’on nomme également Green Room l’un des trois salons de réception de la Maison Blanche) et de révolte, confirme l’importance de Jeremy Saulnier dans le cinéma indépendant américain.
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