Si sa mère le savait !
Le 10 septembre 2012
Cinéaste immense et modeste, Oliveira se met au service d’un texte admirable en installant, avec un art accompli, un dispositif en apparence tout simple mais qui met le spectateur dans un état d’écoute fébrile.
- Réalisateur : Manoel de Oliveira
- Acteurs : Jeanne Moreau, Leonor Silveira, Claudia Cardinale, Luis Miguel Cintra, Ricardo Trêpa, Michael Lonsdale
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Portugais
- Durée : 1h40mn
- Date de sortie : 26 septembre 2012
- Plus d'informations : http://www.epicentrefilms.com/Gebo-...
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Cinéaste immense et modeste, Oliveira se met au service d’un texte admirable en installant, avec un art accompli, un dispositif en apparence tout simple mais qui met le spectateur dans un état d’écoute fébrile.
L’argument : Malgré l’âge et la fatigue, Gebo poursuit son activité de comptable pour nourrir sa famille. Il vit avec sa femme, Doroteia, et leur belle-fille, Sofia, mais c’est l’absence de leur fils, João, qui occupe les esprits.
Gebo semble cacher quelque chose à son sujet, en particulier à Doroteia, qui vit dans l’attente passionnée de leur enfant. De son côté, Sofia attend également le retour de son mari, tout en le redoutant.
De manière soudaine, João réapparaît, tout bascule...
Notre avis : En recourant aux sortilèges de l’éclairage et des effets spéciaux numériques, le plan d’ouverture de Gebo et l’ombre installe le nouveau film de Manoel de Oliveira dans un hyperréalisme aux couleurs de fantastique. Il montre, dans une lumière du soir exacerbant les couleurs jusqu’à les rendre étranges, une coque de paquebot en carton pâte se dressant devant une mer noire, inquiétante, sans promesse d’ailleurs, et la silhouette d’un homme silencieux qui semble attendre, indécis, sur un bout de quai désert, avant de sortir du champ sans crier gare.
La menace diffuse (l’ombre) que fait sentir ce plan magistral, stupéfiant même, pèsera sur les séquences suivantes et sur tout le film. Sa concrétisation au moment où l’absent dont on ne cesse de parler passe le pas de la porte n’apportera qu’un soulagement illusoire et ne dissipera pas l’atmosphère oppressante d’un huis-clos délibérément théâtral.
En effet, passé le plan de générique évoqué plus haut, Oliveira suit scrupuleusement le texte, traduit en français, du drame de Raul Germano Brandão (1867 - 1930) O Gebo e a Sombra (1923) en ne quittant plus le décor de la pièce principale d’une modeste habitation que pour de rares excursions dans les quelques mètres de rue pavée sur lesquels donnent la porte d’entrée et qui semblent n’en être que le prolongement, d’autant que cette rue est, elle aussi, à l’évidence, un (superbe) décor de studio.
- Gebo et l’ombre (Oliveira 2011/2012)
Mais les variations continues de lumière, les bruits du dehors (notamment celui, obsédant, de la pluie presque incessante) envahissent cet univers confiné mais poreux, transpirant l’humidité, perméable à l’extérieur qui constitue le frêle refuge des quelques personnages condamnés au malheur et à la pauvreté et tentant d’ériger le mur des habitudes et de l’illusion patiemment entretenue face à l’hostilité du monde.
Aidé par une extraordinaire photo de Renato Berta, les accords intenses de la musique de Chostakovitch ou de Busoni, et des acteurs admirables de concentration mais capable aussi de garder le recul nécessaire et la pointe indispensable d’humour malicieux, Oliveira met ainsi en place un dispositif propice à l’écoute et qui réussit à faire entendre un texte admirable, à la fois simple, terre à terre et totalement lyrique.
Il y est question d’acceptation résignée et de refus, du sacrifice (inutile ?) d’un père et de la révolte (vaine ?) d’un fils, du mensonge dans lequel on entretient une mère incapable, croît-on, de supporter la révélation d’une vérité que sans doute elle soupçonne, de l’autre visage que personne ne veut voir (Je ne me reconnais plus moi-même dit le fils prodigue décidé à commettre l’irréparable), d’une autre vie peut-être possible.
L’art accompli qu’Oliveira met ainsi au service d’un texte dont il révèle la beauté et la force, lui fait atteindre, une fois de plus, les sommets.
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