Confessions d’un masque
Le 16 octobre 2023
Avec Furyo, Nagisa Ōshima élève David Bowie en ange expiateur bousculant les perceptions d’une civilisation japonaise à bout de souffle. Une œuvre politique et intime foisonnante, teintée d’homo-érotisme, mais aussi l’un des premiers films de guerre queer, prônant une masculinité douce, à l’écart du déterminisme. Une splendeur à (re)découvrir d’urgence.
- Réalisateur : Nagisa Oshima
- Acteurs : Takeshi Kitano (Beat Takeshi), David Bowie, Tom Conti, Yūya Uchida, Ryūichi Sakamoto, Jack Thompson
- Genre : Drame, Film de guerre, LGBTQIA+
- Nationalité : Britannique, Japonais, Néo-zélandais
- Distributeur : Bac Films
- Durée : 2h03mn
- Date télé : 11 novembre 2024 22:25
- Chaîne : Arte
- Reprise: 18 mars 2015
- Titre original : Merry Christmas, Mr Lawrence
- Date de sortie : 1er juin 1983
- Festival : Festival de Cannes 1983
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Résumé : Java 1942 : un camp de prisonniers américains est dirigé par le capitaine Yonoi, un chef japonais à la poigne de fer. À la crainte et au mépris qu’éprouvent les prisonniers et les subalternes du capitaine à l’endroit de ce dernier, s’oppose la résistance étonnante d’un soldat anglais, Jake Celliers. Face à son attitude provocante, Yonoi devient de plus en plus sévère dans le but de faire plier le rebelle.
Critique : Furyo, ou Merry Christmas Mr. Lawrence dans son titre original, nous plonge au cœur d’un camp de prisonniers américains situé sur l’île de Java et dirigé par un capitaine japonais nommé Yonoi. Nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale et Jake Celliers vient de tomber sous la joug de Yonoi, qui a semble-t-il choisi de faire du soldat anglais au regard hétéro-chromique sa nouvelle passion. Dès lors, le film de guerre ronflant et moite que l’on devinait se dérouler durant deux heures se mue peu à peu en une histoire d’amour trouble, à la lisière de l’homoérotisme, entre Celliers et Yonoi, l’un provoquant sans cesse l’autre, et inversement, au milieu d’un huis clos à ciel ouvert, où la notion du temps devient abstraite, les deux hommes s’abandonnant lentement au sortilège de ce monde perdu au milieu de l’océan. Le film s’ouvre sur un hara-kiri, ou devrait-on dire seppuku. Deux hommes, un tortionnaire japonais, l’autre un prisonnier hollandais, semblent s’être livrés à des ébats sexuels, alors proscrits au sein de l’empire d’Hirohito. Le cinéaste Oshima nous pose dès lors l’enjeu principal qui irriguera tout le film, la confrontation entre la tradition et la transgression. Le seppuku se concrétise dans l’abnégation et le sacrifice de soi, l’on doit se résigner, étouffer ses passions, au nom d’un rite social millénaire. Toute forme d’évolution n’est alors que pure hérésie. Celliers, interprété par David Bowie, icône absolue du mouvement queer, va bousculer à jamais les perceptions de Yonoi, sans cesse en train de fouetter et punir son prochain, comme s’il rejetait sa propre nature, un refoulement perpétuel. La mise en scène d’Oshima épouse parfaitement les sentiments de ses personnages, composant moults travellings amples et aériens sur les regards dévorants de l’un et de l’autre. Il y a une certaine forme de contamination de la caméra à mesure que le film se dévoile à nous.
Furyo se permet d’aller encore plus loin dans la déconstruction du mythe de la masculinité en mettant en avant ses personnages masculins comme des figures exempt de toute virilité exacerbée, des êtres éloignés des fondements d’une hégémonie de genre. On s’étonne à contempler des hommes à la sensibilité prégnante, souvent à terre et recroquevillés, des êtres vulnérables et faillibles, à l’instar de cette sublime séquence où Celliers, tel un animal prostré, le dos contre le mur de sa cellule, se remémore des souvenirs d’enfance avec son jeune frère et pleure ses regrets passés. L’impuissance nourrit ces deux colosses dans ce qui pourrait s’apparenter à une valse de masques dissimulant le conflit amoureux. On remarquera que le thème musical culte du film revient comme une ritournelle intérieure à chaque fois que Celliers et Yonoi se réunissent en un seul plan, renforçant l’érotisme et l’alchimie des deux acteurs. Le contraste demeure saisissant avec Yonoi. Celui-ci, interprété par le compositeur Ryūichi Sakamoto, avec sa stature d’athlète, fait incessamment écho au projet philosophique de l’écrivain Yukio Mishima, et son culte du corps qu’il décrivait comme une « armure d’une beauté exempte de toute corrosion ». Yonoi n’est pas un homme perdu dans une époque qui ne serait pas la sienne, animée par cette errance existentielle, mais un être qui constate amèrement que le Japon impérial n’est plus. Sa mort, qu’Oshima choisit sciemment de passer sous silence, est le témoignage d’une défaite, militaire bien sûr, mais aussi spirituelle. Oshima y scrute les pulsions inverties qui taraudent ce jeune androgyne avec la précision d’un entomologiste de génie. La dernière apparition de Yonoi est la séquence plus mémorable du film. Il décide à l’abri des regards de rendre visite une dernière fois à Celliers, condamné à être enterré vivant. Celui-ci l’avait embrassé dans un élan de passion à la fois pour désarmer Yonoi, le sortir de sa torpeur, mais aussi pour sauver un sergent britannique de son exécution. Dans une atmosphère bleutée proche de la rêverie, Yonoi lui découpe une touffe de cheveux comme dernier souvenir, une ultime déclaration d’amour, un baroud d’honneur. Un papillon blanc s’envole alors du visage de Celliers, personnifiant l’âme de cet amour perdu envolée à jamais dans la nuit noire. Furyo est une splendeur de tous les instants.
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