La métamorphose
Le 11 mars 2021
Misant sur un récit pris entre mélodrame et film à suspense, Ozon scrute un phénix : le plaisir retrouvé de l’existence, là où ne régnait plus tôt que ténèbres et désespoir. Récit hitchcockien certes un peu candide mais transcendé par la belle Paula Beer.
- Réalisateur : François Ozon
- Acteurs : Cyrielle Clair, Alice de Lencquesaing , Johann von Bülow, Pierre Niney, Ernst Stötzner, Paula Beer, Marie Gruber, Anton von Lucke, Jean-Pol Brissart
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français, Allemand
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 1h53mn
- Date télé : 11 mars 2021 13:30
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 7 septembre 2016
- Festival : Festival de Venise 2016
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Résumé : Au lendemain de la guerre de 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.
Critique : Frantz, soldat allemand pacifiste adorateur des peintures de Manet et des vers de Verlaine - et portant accessoirement le nom de cette patrie culturelle d’adoption - est mort sur le champ de bataille. Pratique, car c’est autour et par son absence que va s’inscrire tout le récit de Frantz. Sur sa tombe d’abord, où sa promise surprend un Français, ex-soldat de la Grande guerre, du nom d’Adrien pleurant l’amoureux défunt. Puis dans la famille même où s’apprêtait à rentrer Frantz à l’issue de son mariage, au sein de laquelle Adrien va involontairement s’arrimer. Lui qui raconte avoir connu Frantz et noué une relation de grande amitié avec lui à Paris pendant la guerre va peu à peu séduire la mère puis le père - pourtant aigri à l’égard de tous les soldats français, auxquels il impute à tous la responsabilité de la mort de son fils. Déjà par le passé coutumier du procédé, François Ozon développe ici un dispositif d’identification, de métamorphose. Comprendre aussi que le corps de Frantz n’a jamais été identifié et ne le sera jamais, comme s’il errait pour l’éternité. Or, Adrien s’incarne inconsciemment en lui pour conjurer sa disparition. Tandis que les parents et la dulcinée du trépassé échappent grâce à cette incorporation dans le même temps à un deuil trop douloureux. Hitchcockien en diable, Ozon convoque ici la nécrophilie larvée de Vertigo - qu’il ne manque pas d’ailleurs de citer explicitement dans la scène du musée. Afin d’illustrer cette torpeur de l’après-guerre émaillée par la perte d’un être cher et son éclaircissement sporadique - les souvenirs nostalgiques suscités par les récits d’Adrien -, le cinéaste utilise le noir et blanc dans une veine sépia étonnante, qui bascule le moment venu sur la couleur. Artifice de mise en scène simpliste mais efficace, et manière élégante d’évoquer une paix, bien que furtive, alors retrouvée. Ainsi le violon ou encore la balade au bord du lac redonneront vie et couleurs à ce monde dévasté par la mort et la haine réciproque de deux pays exsangues.
- Copyright Mars Films
Le Suicidé (1877), le tableau de Manet du Louvre, occupe une place centrale dans Frantz. Car c’est symboliquement grâce à lui qu’Adrien et Anna, la protagoniste clé du film merveilleusement interprétée par Paula Beer, vont réapprendre à aimer la vie. En cela faut-il voir sans doute l’empreinte du philosophe roumain Emil Cioran, qui pour exorciser ses pulsions de suicide comprit par l’écriture que la plus grande liberté de l’être humain est celle d’abolir sa vie, et donc de continuer à exister pour en disposer. Mais au-delà des habitudes d’Ozon - la peinture et les motifs hitchcockiens -, Frantz, qui s’inspire librement d’un film d’Ernst Lubitsch (L’homme que j’ai tué, 1932), trace le trait d’union d’une réconciliation cathartique entre deux pays en reconstruction : l’Allemagne et la France. Où petit à petit les inimitiés guidées par un sentiment patriotique s’effacent devant l’universalité des sentiments. Enfin, Frantz est également - autre mantra du cinéaste français - l’occasion d’évoquer l’instabilité du désir : plus qu’un pardon, le voyage d’Adrien en Allemagne signifie aussi pour lui la fixation d’une affinité envers le masculin, cette "fragilité" dont parlera plus tard sa mère. Au fond, chaque personnage dans Frantz doit se consumer pour gagner sa liberté : le père en laissant aller ses idées reçues sur les Français et en retrouvant en Adrien le fils perdu, Adrien en se laissant vampiriser sinon absorber par la famille allemande, Anna en choisissant le mensonge pour préserver ses parents et en se brisant le cœur. Suicides allégoriques - ou représentés mais manqués - qui donnent accès enfin au sentiment d’existence tant convoité.
- Copyright Mars Films
La photographie léchée et la musique onirique permettent à Frantz de distiller une atmosphère de conte assez cruel, mais surtout tendre et naïf. Un romantisme un peu toc par moments où l’emphase du jeu de Pierre Niney peut agacer. Néanmoins, ce drame de l’adolescence et son lot d’initiations intègre par-delà ses bons sentiments de nombreuses chausse-trappes et tiroirs à double-fond. Quitte à s’immiscer parfois sur le terrain du film à suspense : au spectateur, alors, de dénouer le mystère. François Ozon n’aime pas les structures de récit linéaires et les démarcations trop manichéennes. Derrière la bonté désintéressée d’Adrien, l’innocence d’Anna ou de Frantz, se cache donc une réalité plus nuancée et plus proche quelque part de la vie. Ce va-et-vient entre la petite ville d’Allemagne et Paris, entre les deux pôles de l’énigme laissé par la mort, finit cependant par devenir programmatique dans sa seconde moitié. La dynamique fleurie à la Maupassant perd de sa spontanéité, et l’écriture devient plus mécanique. C’est à cet instant que Frantz passe de film majeur à mineur dans la filmographie de François Ozon. C’est aussi là que Paula Beer s’impose malgré tout en figure archétype de son cinéma, avatar d’une œuvre inlassablement ensorcelée par les femmes.
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