Le 15 octobre 2016
- Réalisateurs : Stéphane Brizé - Kelly Reichardt
- Festival : Festival International du Film de La Roche-sur-Yon 2016
Notre deuxième journée au festival de La Roche-sur-Yon 2016 fut ponctuée par les portraits de femmes de Kelly Reichardt dans Certain Women, par la trajectoire touchante d’Icare dans Ma vie de courgette de Claude Barras, ou encore par les expérimentations aux confins du documentaire et de la fiction de Pierre Bismuth avec Where is Rocky II ?. Quoi de mieux pour donner à sentir matière si composite que le cinéma ?
Loin du fard des grands festivals internationaux, la septième édition du rendez-vous cinéphile de La Roche-sur-Yon appose une atmosphère de franche camaraderie. Un petit tour dans un restaurant proche des salles de cinéma dédiées à l’évènement, et l’on se retrouve voisin de table Bruno Podalydès ou Bertrand Bonello. Le jeu de la promotion semble inutile ici, avec des gens simples arpentant des lieux simples. Il n’y a guère qu’une fois assis dans les salles obscures pour que la grandiloquence et l’emphase se fassent sentir à l’occasion, cependant pas toujours pour les mauvaises raisons. Si Stéphane Brizé échoue avec son adaptation de Maupassant Une Vie à se défaire de son systématisme horripilant, d’autres ont su séduire par ailleurs, à l’instar de Pierre Bismuth et de son ovni Where is Rocky II ?, Claude Barras (avec Ma vie de courgette, qui avait déjà fait sensation à la Quinzaine des réalisateurs) et bien sûr Kelly Reichardt, décidément passée reine du cinéma indépendant. Petit tour d’horizon avec pas moins de six films visionnés vendredi.
Le génie de la boîte de raviolis & Ma vie de courgette, de Claude Barras – section Jeune Public
Chez Claude Barras, la science de l’épure emprunte autant à Pixar - en plus sensitif encore - qu’à l’univers de Sylvain Chomet ou de Nick Park. L’artiste se repait de la thématique du drame social, le tout à la sauce stop-motion, avec une inventivité stupéfiante. Étrangement, même sans en passer par une composition baroque, le style de Jacques Tati n’est pas loin - sans doute grâce à la tonalité nostalgique et à cette sensibilité tour à tour poétique et drolatique. Qu’il s’agisse du court-métrage Le génie de la boîte de raviolis (2006) ou de Ma vie de courgette, chaque instant chez Claude Barras vaut pour son fantastique retour à l’enfance - de ces idées magiques qui tirent les larmes en une fraction de seconde. Aussi à l’aise pour dépeindre la morosité d’un ouvrier esseulé que la peine d’un orphelin accueilli en foyer, le cinéaste impressionne par sa facilité à traiter des sujets aussi durs sans jamais se défaire de sa fantaisie. Sans doute faut-il aussi voir ici le brio du scénario de Céline Sciamma. Mais plus que ça, c’est également le talent de conteur et cette passion latente pour le cinéma des pionniers qui sautent aux yeux ici - plus dans une dynamique de bricolage, à la marge, façon Méliès, que dans une optique expressionniste.
Certain Women, de Kelly Reichardt – Séances Spéciales
Après avoir récemment donné sa vision d’une conquête de l’Ouest résumée en la trajectoire circulaire d’américains rigoristes tournant sur eux-mêmes avec La dernière piste, et un aperçu de la nuit avec Night Moves, Kelly Reichardt revient avec un portrait croisé de trois femmes incarnées par Laura Dern, Michelle Williams - sa muse -, et Lily Gladstone. Le film débute quelque part à la sortie du tunnel filmé par Hitchcock en clôture de La mort aux trousses. L’atmosphère n’est non plus pré-coïtal comme s’en amusait le maître du suspense. Et pour cause : après un plan sur un train de marchandise au grand jour, le cadre se focalise sur Laura Dern et son amant dans une chambre d’hôtel, peu après l’orgasme. C’est avec cette mélancolie à la jouissance si proche et lointaine que Kelly Reichardt contamine à dessein tout son film. Les trois portraits de femmes qu’elle compose seront doux et cruels, à l’instar des étendues de terre splendides mais dépouillées les enserrant - manière pour la cinéaste d’en revenir à une certaine représentation de l’Amérique, espace devant lequel l’Homme reste impuissant. Pour l’heure, tout porte à croire que Certain Women ne sera pas diffusé en salles, sinon en VOD en 2017. Une grossière erreur, tant Kelly Reichardt y confirme son talent et sa grandeur au sein du cinéma indépendant. L’on retrouve notamment Todd Haynes à la production. Nul doute que nous reparlerons bientôt de cet excellent film.
Where is Rocky II ?, de Pierre Bismuth – section Nouvelles Vagues
Imaginez un thriller reprenant les codes d’Alfred Hitchcock, Roman Polanski, David Fincher et autres Paul Verhoeven au sein d’une histoire de détective privé. À la différence que le film ne relèverait non pas de la fiction comme l’on pourrait s’y attendre, mais du pur documentaire. Pas de quelconque scénario à l’origine de Where is Rocky II ? sinon la volonté de créer un documentaire se faisant passer pour un film. L’enjeu de ce "docu-menteur" réside en la recherche d’une œuvre d’Ed Ruscha datant de 1979, un faux rocher en fibre de verre placé dans un le désert non loin de Joshua Tree. Mais il ne s’agit là que d’un MacGuffin, le plasticien Pierre Bismuth - qui réalise avec Where is Rocky II ? son premier long métrage, des années après avoir inspiré le scénario d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind - ne cherchant dans le fond qu’à expérimenter sur le faux. Et pour cause : le nœud du dispositif est un morceau de fibre de verre se faisant passer pour une roche au même titre que l’œuvre dissimule sous la fiction une veine documentaire. Néanmoins, il serait réducteur de faire de Where is Rock II ? une simple émulsion entre documentaire et fiction. Car le film intègre aussi à mi-parcours, alors que le spectateur comprend la supercherie, de véritables séquences de fiction nichées sous le voile du documentaire : quelques scénaristes collaborant avec Bismuth sont filmés au travail alors qu’ils réfléchissent à une fiction extrapolant le déroulé du documentaire. Le fruit du travail des scénaristes, soit des scènes filmées découlant cette fois de vrais scénarios, se glisse entre les plans du documentaire subrepticement. Ces séquences pourraient faire passer le plasticien-cinéaste pour un homme de mauvais goût, mais il ne s’agit que de second degré, l’artiste ne faisant que retranscrire le style des bandes annonces de blockbusters creux. Cet assemblage façon matriochkas et mises en abyme suscite le vertige, et certaines de ses scènes purement documentaires donnent par moment l’impression de regarder un film de Quentin Dupieux – peut-être de par l’utilisation de la caméra Arri Alexa -, chose assez fascinante.
Pour évoquer son film, Pierre Bismuth a ces mots : "C’est un film qui s’appelle un documentaire car découlant d’une économie du documentaire. Néanmoins, la plupart des séquences sont tournées en une seule fois, et les dialogues sont spontanés. Toutefois, l’ensemble est construit de façon à ce que l’on pense qu’il s’agit de quelque chose de fabriqué." Pour lui, rien d’étonnant à ce que les personnes filmées dans le documentaire paraissent si cinégéniques tant chacun du côté de Los Angeles semble être né avec de telles prédispositions.
Une vie, de Stéphane Brizé – compétition internationale
Manqué par la rédaction à la Mostra de Venise, où il figurait en compétition, Une Vie est aussi au programme de La Roche - va donc pour le rattrapage. L’occasion d’une adaptation du roman éponyme de Guy de Maupassant, Stéphane Brizé passe au format carré à travers une mise en scène jonglant entre enfer et paradis. Jeanne Le Perthuis des Vauds, une femme d’une famille de la noblesse, épouse un homme adultère qui fera de sa vie une sorte de longue mise à mort. Habitué aux longs plans séquences claustrophobes, le cinéaste pousse le vice via un format enfermant davantage encore le regard. L’ennui est que cette cellule vaut autant pour Jeanne que pour le spectateur. Ces enchaînements de plans vides tantôt dans les tons noirs, tantôt dans les tons champêtres en flash-back - paradis perdu oblige - se vivent comme une longue traversée du désert dont on guette la fin avec impatience. Toutes les tares de Stéphane Brizé précédemment relevées dans ses longs métrages semblent toutes ici réunies. Le fait de choisir un format carré pour échapper à tout romantisme et ancrer la protagoniste dans le sacerdoce du temps présent n’est en soit pas une mauvaise idée. Malheureusement, le réalisateur en fait un usage déplorable. La tonalité sombre mais aussi caustique de Maupassant n’est pas de mise ici. Dommage.
The Ones Below, de David Farr – compétition internationale
Ce remake londonien de Rosemary’s Baby (dont l’action prenait place à New York), avec ses pastels hitchcockiens façon Vertigo, ne manque pas d’ampleur. "The Ones Below", soit "les gens du dessous", sécrète la même inquiétante étrangeté que les voisins de palier de Mia Farrow dans le film de Roman Polanski. Afin de tromper le cinéphile, le réalisateur David Farr a choisi une sorte de sosie de l’actrice en la personne de la voisine. Comme si Mia cherchait à se venger de l’usurpation finale de son bébé dans le long métrage de 1968. Même dispositif pour évoquer l’angoisse de la maternité ici, si ce n’est l’ajout d’un syndrome de baby blues vécue par Kate. L’ensemble, bien que mis en scène avec soin, rate le coche dans son final - la faute à une écriture trop démonstrative. Clémence Poésy et Laurent Birn portent néanmoins le film avec brio. Du strict point de vue de la mise en image et du fétichisme hitchcockien, Bertrand Bonello avait jeudi avec les rushs de Madeleine d’entre les morts quant à lui vu beaucoup plus juste, grâce notamment à des teintes plus claires et fantasmagoriques.
Under the shadow, de Babak Anvari - Séances spéciales
Et si Under the shadow accomplissait ce que le film d’épouvante peine à concrétiser - hormis quelques fulgurances ibériques - depuis les exploits des Hideo Nakata des années 1990 ? Si le film de Babak Anvari terrifie autant, c’est parce qu’il sait allier un argument fantastique avec un arrière-fond historique et social : la question d’être une femme iranienne pendant le conflit Iran-Irak, et le fait de continuer à structurer sa famille à Téhéran malgré les bombardements. Cette horreur de la guerre et cette difficulté à avancer malgré les fondamentalismes - la mère ne peut reprendre ses études de médecine car elle participa quelques-années plus tôt à la révolution - permet ainsi au réalisateur de mettre en scène un génial long métrage d’horreur. Plus que l’effroi, c’est le trouble d’un passé - qui se perpétue d’une certaine façon aujourd’hui - débordant sur notre présent qui produit du sens ici. Du point de vue des motifs horrifiques, l’on notera un travail sur le son et les jeux de Lumière mémorables, et surtout un bien bel usage des drapées pour susciter la peur. Une économie de moyens qui n’est pas sans rappeler un pionnier comme Jacques Tourneur. Under the shadow, son histoire de détresse de femme iranienne et de la difficulté d’élever un enfant par-delà les bombes, figure parmi les moments forts du septième festival de La Roche-sur-Yon.
Pour revivre les premiers moments de la septième édition du festival international de la Roche-sur-Yon, c’est par ici : Festival du film de La Roche-sur-Yon, part 1.
Ou, inversement, pour avoir une idée des derniers instants...
– Festival de La Roche-sur-Yon, part 3 : dans l’antichambre de Lynch et Zappa.
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