Le 3 février 2016
Une oeuvre singulière qui nous immerge jusqu’au malaise, dans un monde délicieusement ouateux, mais profondément vénéneux.
- Réalisateur : Lucile Hadzihalilovic
- Acteurs : Julie-Marie Parmentier, Roxane Duran
- Genre : Fantastique
- Nationalité : Espagnol, Français, Belge
- Durée : 1h21mn
- Date de sortie : 16 mars 2016
- Festival : PIFFF 2015, Gérardmer 2016
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– Année de production : 2014
– Prix du Jury et Prix de la Critique au Festival de Gerardmer 2016
Une oeuvre singulière qui nous immerge jusqu’au malaise, dans un monde délicieusement ouateux, mais profondément vénéneux.
L’argument : Nicolas, onze ans, vit avec sa mère dans un village isolé au bord de l’océan, peuplé uniquement de femmes et de garçons de son âge. Dans un hôpital qui surplombe la mer, tous les enfants reçoivent un mystérieux traitement. Nicolas est le seul à se questionner. Il a l’impression que sa mère lui ment et il voudrait savoir ce qu’elle fait la nuit sur la plage avec les autres femmes. Au cours des étranges et inquiétantes découvertes qu’il fera, Nicolas trouvera une alliée inattendue en la personne d’une jeune infirmière de l’hôpital…
- © Potemkine Films
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Notre avis : Au début, on est assiégé de questions. Où est cette île ? Qui sont ces femmes ? Que font-elles à ces jeunes garçons ? Sont-elles seulement humaines ? Et puis on se laisse aller. On oublie nos interrogations et on plonge petit à petit dans ce bord de mer rocailleux et ces bâtisses blanches. On oublie l’intrigue, on oublie le danger probable et on vit avec Nicholas, on partage avec avidité et effroi son voyage initiatique, on voit par ses yeux. Comme Innocence, le précédent film de la réalisatrice, Évolution ne s’offrira qu’à ceux qui seront prêt à se laisser aller. Parce que la grande force du cinéma de Lucile Hadzihalilovic tient dans la confiance qu’elle a en son spectateur : « C’est aussi le cinéma que j’aime en tant que spectatrice, un cinéma qui demande de plus s’impliquer » nous dit-elle. Par la photographie soignée, les longs plans fixes, la musique disparate, elle nous invite à nous perdre tout entier dans le monde qu’elle crée, brouillant nos repères consciemment, se faisant volontairement avare de réponses, tout cela dans un seul et unique but : notre immersion totale.
- © Potemkine Films
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Ce manque de repères force en effet le spectateur à lâcher prise. Comme la réalisatrice nous le confie, beaucoup de gens disent « ne pas comprendre » ses films mais le fait est qu’Innocence et Évolution sont avant tout des expériences qui se ressentent avant de se laisser appréhender. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’ils doivent se sentir pour être compris. Par exemple, de cette image d’un petit corps d’enfant plongé dans une mer immense, nous sentons qu’il nage encore dans le ventre de sa mère. Si Innocence traitait du passage à l’âge adulte par l’apprentissage, Évolution s’y focalise du point de vue de la fécondité. Nous passons ainsi de l’école à l’hôpital avec toujours cette même fascination pour une petite société suivant ses propres règles. Les mères de substitution qui semblent plus proches du monde aquatique que du monde terrestre font ainsi converger l’évolution titre du film en deux points : tout d’abord une évolution sereine de l’enfant dont le corps change, atteint un stade d’hybridité durant l’adolescence puis une évolution qui nous semble moins naturelle, centrée autour de l’idée que seule la fécondité permet le passage à l’âge adulte.
Dans une économie de moyens sidérante, Lucile Hadzihalilovic construit ainsi un univers fantastique d’une richesse impressionnante, baigné dans une ambiance à la fois paisible et effrayante. Les mondes que crée Lucile Hadzihalilovic sont à la fois confortables, assez pour qu’on se laisse aller en eux, mais se révèlent toujours dangereux, l’ombre des adultes à la fois bienveillants et sadiques planant sans cesse au dessus des personnages. « J’ai voulu faire un film plus narratif » révèle elle, Évolution n’hésitant pas à verser dans l’horreur morbide, réitérant le souvenir douloureux de l’appendicite, épisode vécu comme traumatique pour la réalisatrice : « Pour la première fois, des adultes inconnus regardaient et touchaient mon corps, et même l’ouvraient ! [...] Sous une forme stylisée et déformée, ce film est tout entier imprégné d’éléments de mon enfance ».
- © Potemkine Films
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Lucile Hadzihalilovic fonctionne donc par images, par sensations. D’où sa difficulté à monter ses projets, Innocence étant sorti il y a déjà plus de dix ans, dans une salle parisienne : « Pour les commissions, je leur montrais Innocence en leur disant que je ne voulais pas faire la même chose mais qu’il y avait des récurrences et ça ne servait à rien. Les gens lisent un scénario comme une pièce de théâtre mais un scénario, c’est plus que des événements, c’est une ambiance ». Ce cinéma « à ambiance » à en effet du mal trouver sa place dans le paysage cinématographique français : « La production a été difficile sur ce point parce que d’un côté, il ne se passait pas assez de choses pour correspondre à un film de genre, d’un autre, le côté fantastique est assez mal vu en France, même des références comme Lovecraft, alors que c’est un auteur classique, ou Philip K. Dick. L’Angleterre est beaucoup plus réceptive à ça ». Pourtant, Évolution met en scène des figures connues, même du public français. Sur ce point, la réalisatrice observe ceci : « Il y a un aspect métaphorique dans mes films mais je pense que ce sont des choses qui peuvent parler à tout le monde. J’ai beaucoup aimé la question hier après la projection « Pourquoi ce cliché des sirènes ? ». » Des sirènes, des sorcières, des infirmières sadiques, chacun interprétera Évolution au regard de son expérience sensorielle. À nous laisser nous impliquer entièrement dans son univers, Lucile Hadzihalilovic ouvre un champ d’interprétation égal à toutes les sensibilités qui se l’approprieront.
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