Le 24 octobre 2015
Like Cattle Towards Glow est un premier essai cinématographique plutôt prometteur pour l’écrivain Dennis Cooper et l’artiste visuel Zac Farley. Cette oeuvre intrigante nous a donné envie de rencontrer à chaud les réalisateurs le lendemain de la première mondiale le 11 septembre dernier dans le cadre de la XXIe édition de l’Étrange Festival à Paris.
"Like Cattle Towards Glow" est un premier essai cinématographique plutôt prometteur pour l’écrivain Dennis Cooper et l’artiste visuel Zac Farley. Cette oeuvre intrigante nous a donné envie de rencontrer à chaud les réalisateurs le lendemain de la première mondiale le 11 septembre dernier dans le cadre de la XXIe édition de l’Étrange Festival à Paris. En supplément de notre avis sur le film : La critique
Avoir-Alire : Peut-on revenir tout d’abord sur votre collaboration. Je sais que Dennis avait publié ce roman en .gif dans lequel le nom de Zac apparaît, Zac’s Haunted House. Quand avez-vous commencé à travailler ensemble ?
Zac Farley : Nous nous sommes rencontrés il y a trois ans, j’adorais son œuvre d’écrivain depuis mes dix-sept ou dix-huit ans. C’était au moment où il est parti des Etats-Unis et a déménagé sur Paris. Immédiatement, nous avons eu l’envie de travailler ensemble sans savoir véritablement sur quoi. Il m’a parlé de ce scénario de film qu’il avait écrit. Je n’avais jamais pensé faire un film bien que j’ai toujours adoré le cinéma.
Dennis Cooper : Ce devait être il y a huit ans. Au départ, on m’avait proposé de faire un film pornographique, et cela m’intéressait, mais mes idées étaient bien trop étranges et le projet s’est arrêté. Plus tard, Jürgen Bruning [le producteur des films de Bruce La Bruce] a entendu parler de ce scénario et m’a écrit qu’il était intéressé pour le voir et Zac était intéressé pour le réaliser. On l’a donc réécrit ensemble et Jürgen Bruning l’a accepté.
Donc au départ il était prévu que ce soit un film pornographique qui a évolué vers le résultat actuel. Pouvez-vous revenir sur l’idée derrière ce film qui se divise en cinq parties distinctes ?
Zac : La structure était déjà intégrée dans le scénario d’origine. Quand nous l’avons retravaillé ensemble, cette structure était un des points forts pour nous avec ces histoires isolées mais qui peuvent au bout du compte communiquer entre elles.
Dennis : Au début, la narration fonctionnait comme un cercle, et à la fin on revenait à la première scène. Mais ce n’était pas une bonne idée. On m’avait demandé de le faire parce que c’était trop étrange. Nous avons finalement rejeté cette option et Zac a écrit toute la dernière scène lui même. C’était en cinq sections car les films pornographiques sont en cinq parties. Mais peu à peu nous nous sommes débarrassés de tous les éléments pornographiques et la forme fonctionnait très bien. Il était toujours question de sexualité mais avec une approche totalement émotionnelle, intellectuelle et esthétique.
Dennis, tu as écrit par le passé de nombreuses fois pour le théâtre avec Gisèle Vienne, qui apparaît dans la dernière séquence d’ailleurs, et au milieu des années 1990 il y a eu aussi une adaptation au cinéma d’un de tes récits, Frisk.
Oui, mais je n’aime pas ce film. Je n’ai eu rien à voir avec.
Etait-ce vraiment la première fois que tu écrivais pour le cinéma ou l’avais-tu déjà fait auparavant ?
J’avais écrit un scénario il y a très longtemps pour un réalisateur dont j’oublie le nom. On l’a travaillé dans les ateliers d’écriture de Sundance mais cela n’a jamais abouti, comme tant de projets. Donc on peut dire que cela a été ma première fois, comme pour Zac qui fait de la vidéo et de l’art mais jamais avec des dialogues.
Et ce titre intriguant, qu’est-ce qu’il vous inspire au-delà du fait que c’est très poétique ?
Zac : Cela vient d’une chanson d’un groupe danois qui n’existe plus, Var, avec Elias Bender Ronnenfelt de Iceage. On avait parlé de cette chanson, c’était celle que Dennis préférait sur le disque, et il y avait cette phrase dans les paroles qui nous a immédiatement parlé.
Dennis : Très tôt, nous voulions avoir un groupe dans la seconde séquence du film, et nous avions pensé notamment à ce groupe. Peut-être que nous nous sommes dit : "hey peut-être qu’en mettant ce titre, ils le feront pour nous ?" Et ils existaient encore à cette époque !
Dans le film, il y a de longs moments de silence mais il y a aussi ces grosses masses sonores, et en particulier dans la deuxième partie. C’est un moment très fort avec cette musique hypnotique et assez bruyante et ce chanteur qui fait un spoken word où il revient sur les événements de sa vie. Pouvez-vous revenir sur cette section ?
Zac : Elle est spéciale pour moi. C’est la dernière séquence que nous avons tournée. Ce fut assez compliqué car il y avait beaucoup de figurants, la musique, le texte mais travailler avec ce performeur E.D. Yang fut fantastique. Il dégage tellement de puissance.
Dennis : À la base c’est un danseur.
Zac : Le texte qu’il chante a été écrit par Dennis, dont une partie a été publiée il me semble, et cela fonctionnait vraiment bien.
Dennis : Cela nous a pris du temps pour savoir vraiment si cela allait être un groupe, comme il était prévu à l’origine. Ce qui se déroule a toujours été pensé comme tel. Le chanteur serait attaqué, et le groupe descendrait de la scène pour jouer une sorte de bande originale en live quant à ce qui se déroule devant leurs yeux. Mais finalement cela s’est révélé ridicule et infaisable. Puis nous sommes tombés sur cette musique de Peter Rehberg qui fait les musiques pour Gisèle Vienne. Nous lui avons demandé si nous pouvions utiliser ce morceau et les choses se sont simplifiées. Nous nous sommes dits que ce serait mieux que le chanteur parle. Et comme dit Zac, nous avons choisi les performeurs, et en fonction de cela, nous avons revu la scène et ce qui pouvait leur arriver. Le performeur avait une clavicule cassée donc il fallait que nous soyons prudents dans ce qui allait lui arriver. Qui allaient être les attaquants ? Que veulent-ils, que peuvent-ils lui faire ? C’est ce qui a déterminé ce que l’on voit dans la scène. Nous souhaitions vraiment travailler avec les personnes et modifier le scénario au profit des performances qu’ils pouvaient nous donner.
Les acteurs sont tous non professionnels ?
Tous !
Dans la première scène, il y a ce jeune homme qui imite un corps mort et il est vraiment impressionnant. Même l’autre acteur semble bluffé. C’est le genre de scène que tout le monde ne pourrait et ne saurait pas faire. Pour le casting, cela a pris du temps pour trouver et rassembler toutes ces personnes ?
Zac : Assez. Christophe Honoré nous a tant aidé sur ce point là. Nous avons travaillé avec Sébastien Lévy qui a repéré des gens dans la rue, dans le métro et qui a littéralement demandé aux gens de se présenter à ces castings. Ce fut long, nous avons rencontré beaucoup de gens, et je crois que nous avons été vraiment chanceux. Mais ce fut simple, dans le sens où les personnes que l’on voit dans le film, nous les avons rencontrées et nous avons su très vite que nous avions envie de travailler avec elles.
Dennis : Nous avons dû faire un second casting juste avant ou peut-être même alors que nous avions déjà commencé à tourner, car pour certaines sections il était vraiment difficile de trouver la personne adéquate, comme pour l’artiste de spoken word. Nous avons eu des personnes qui n’étaient pas prêtes à faire ce qu’on leur demandait, donc il y a deux ou trois rôles que nous avons dû chercher à ce moment là. Encore une fois, nous avons été chanceux. Certains sont étudiants en architecture, en stylisme, d’autres sont modèles, guitaristes dans des groupes, ils viennent vraiment de tous les horizons, n’avaient jamais joué et c’est ce que nous voulions. Nous avons fait des essais avec deux acteurs, mais nous n’aimions pas, car justement le jeu se sentait trop. Nous avons vraiment tout construit sur leurs visages. Nous voulions que les visages disent presque tout, et les mots ne sont que des sous-titres pour leurs émotions et ce qui se passe sur leurs expressions faciales. Avec des non professionnels, ils le font plus naturellement.
La première section est assez proche de ton univers littéraire mais j’ai été plus surpris par la quatrième dans laquelle il y a beaucoup plus d’humour et des figures carnavalesques et folkloriques comme les Krampus. D’où est venue l’idée de cette étrange société fantastique ?
Avec Gisèle nous avions fait la pièce Kindertotenlieder. Il y avait des Krampus dans la pièce et tout se passait dans la neige. J’ai toujours aimé cette idée et j’avais envie d’en faire autre chose. Je voulais travailler sur l’anarchisme et j’avais cette idée d’enfants qui vivent au milieu des bois. Ils essaient de devenir des monstres, c’est leur forme d’anarchisme. C’était amusant. Au final, c’est plus drôle que ce que nous avions pensé car ils ont fait un super boulot et Paul, celui qui ne porte pas son masque, a cette voix très particulière, puis il y a ces personnages que nous avons intégré à la fin, Laurence Viallet, Gael Depauw qui sont des personnages amusants aussi.
Zac : L’humour est quelque chose de tellement difficile de façon générale. Mais j’aime l’humour dans le travail de Dennis. L’écriture fut drôle et nous avons ouvertement choisi de rendre la séquence très artificielle.
Cette scène a été faite entièrement en studio ?
Dennis : Dans une église ! La première scène est calme mais très sérieuse. La seconde est très intense et pas drôle du tout. La troisième est entre les deux, il y a un côté très étrange et un autre comique. On ne rit pas vraiment mais ce qu’ils disent est très bizarre. C’est une façon de te préparer à l’humour qui va suivre.
Pour vous, quels sont les points communs entre ces cinq sections ?
Zac : J’en vois beaucoup. À la surface, il y a la jeunesse et ces rencontres "difficiles" on pourrait dire.
Dennis : Toutes les scènes parlent de sexualité. C’est toujours déroutant, infructueux. De la sexualité difficile, qui se produit ou pas. Ils veulent mais ils ne peuvent pas. On tourne autour de problèmes émotionnels, de confusion. Dans la scène avec les Krampus, cela se transforme en discussion intellectuelle. Et dans la dernière séquence, cela n’apparaît qu’à un seul moment mais à travers la surveillance, on peut imaginer qu’il y a autre chose qui se passe. Il y a un désir de sexualité mais cela apparaît trop curieux ou impossible à réaliser, sauf par la force, comme dans l’attaque de la seconde scène ou dans la première où le jeune homme est mort. Il n’y a pas de sexualité normale dans le film.
Christophe Honoré dans son discours hier à propos du film a parlé d’un "catalogue des perversités". Voyez vous ces comportements comme pervers ?
Zac : Je n’utiliserais pas le terme de perversité car cela ne correspond pas vraiment à la façon dont on fait le portrait de celle-ci en général. Ce n’est pas vraiment ce qui retient notre attention.
C’est amusant qu’à l’origine il y ait eu une commande pour un film pornographique car au final le film en est l’absolu contraire.
Dennis : Il n’a jamais été question que le film soit sexy. Les scènes auraient été explicites mais non sexy. Mais il s’est révélé que ce n’était pas une idée si intéressante. Il n’y a pas besoin d’actes sexuels. Tu peux le suggérer au travers d’une ou deux petites choses.
On ne sent pas vraiment la notion de plaisir ... ou peut-être...
Non ! Ou du moins s’il y a du plaisir, il ne s’obtient pas d’une façon simple.
Vous avez d’autres projets ensemble ? Dennis, un nouveau roman peut-être ?
Nous travaillons sur un nouveau film. Il est déjà écrit. Nous avons un peu d’argent pour le faire et nous sommes en train de démarcher des producteurs. J’ai un roman en cours que j’ai commencé il y a un an mais j’ai dû le mettre de côté car je travaille sur tellement de projets et le film nous a pris beaucoup de temps. Il y a aussi les projets avec Gisèle Vienne. J’ai écrit la moitié de ce roman pour l’instant, puis je viens de faire un autre roman en .gif qui se nomme Zac’s Control Panel.
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