Dans la peau d’Ernesto
Le 7 mai 2013
Encensé par le public cannois de la Quinzaine des Réalisateurs 2012, Enfance clandestine livre une vision poético-réaliste du militantisme péroniste argentin. Une œuvre tout en finesse à hauteur d’enfant. Juste, tout simplement.
- Réalisateur : Benjamin Avila
- Acteurs : Ernesto Alterio, César Troncoso, Natalia Oreiro
- Genre : Drame, Teen movie
- Nationalité : Espagnol, Brésilien, Argentin
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 27 novembre 2023 21:00
- Chaîne : OCS Pulp
- Titre original : Infancia clandestina
- Date de sortie : 8 mai 2013
- Festival : Festival de Cannes 2012
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Résumé : Argentine, 1979. Juan, douze ans, et sa famille reviennent à Buenos Aires sous une fausse identité après des années d’exil. Les parents de Juan et son oncle Beto sont membres de l’organisation Montoneros, en lutte contre la junte militaire au pouvoir, qui les traque sans relâche. Pour tous ses amis à l’école et pour Maria dont il est amoureux, Juan se prénomme Ernesto. Il ne doit pas l’oublier : le moindre écart peut être fatal à toute sa famille. C’est une histoire de militantisme, de clandestinité et d’amour. L’histoire d’une enfance clandestine.
Critique : Inspiré de sa propre histoire, le premier long-métrage de Benjamin Avila tranche par son authenticité. À l’écran, le cœur du cinéaste s’expose et se surexpose à toute vitesse. Vingt-quatre battements secondes. Soyez sympas, rembobinez : telle semble être la secrète supplication du cinéaste. Et pour mieux remonter sa nostalgie, l’homme ouvre le film en tirant un fil, celui de la narration. À l’image, une bouche maternelle enregistre le plan d’un périple au long cours. Après des années d’exil, le temps est venu pour Juan de revenir dans un pays qui l’a vu naître mais qu’il ne connaît pas : l’Argentine. Et pour pouvoir y planter ses racines, la famille doit jouer le jeu de la clandestinité. Du haut de ses douze ans, Juan endosse avec plaisir sa nouvelle identité, celle d’Ernesto. À l’image, une série de dessins du Che et de ses multiples travestissements défilent. Le coup de crayon de l’innocence. Embarqué malgré lui dans une guérilla souterraine, Ernesto joue du contre-temps. Apprendre un nouvel accent, creuser des cachettes secrètes, fêter un faux anniversaire : l’aventure militante a chez lui un goût de récréation permanente. Tapi derrière des portes entrouvertes et des tronçons de murs, Ernesto observe, interdit, le monde adulte. Et nous aussi. Vierge de toute histoire, il catalyse le réel sous sa forme brute, sans un mot et sans le filtrer. Dans Enfance clandestine, le discours s’énonce toujours d’un timbre adulte...
Après un premier documentaire sur les enfants disparus intitulé Nietos, le cinéaste prend de front la dernière dictature militaire et, par la distanciation du point de vue, confronte la résistance des péronistes à l’enchantement enfantin. Un parti pris intelligent qui permet d’éviter un énième pamphlet anti-militariste sur le sujet, et qui, par le jeu du détournement, délaisse la guérilla hors champ pour mieux nous conter l’intimité. Pris dans les filets de la pré-adolescence, Enfance clandestine plonge au cœur d’une métamorphose, celle d’un enfant sur le point de devenir grand. De sa naïveté, le cinéaste tire une poésie parfaite alléguant aux armes de guerre un goût de merveilleux. Dès lors, enfance et âge adulte ne cessent de résonner en écho : militants aux yeux bandés et colin maillard forestier, revolver sanguinaire et fusil à ballon, voiture fugitive et jouet tas de ferraille, tout se reflète comme dans un miroir. Protégé et choyé de tous, Ernesto est jusqu’alors un clandestin épargné. Au fil du récit, la lutte prend de l’ampleur, gangrène le cadre et perd de son évanescence. La mort entre dans le champ. Un à un, les repères d’Ernesto s’écroulent tel un jeu de quilles. Raccroché à son imaginaire, l’enfant tente d’en adoucir les contours.
Roman d’apprentissage, Enfance clandestine est aussi l’histoire d’une liberté. Amoureux de Maria et bien décidé à faire sa vie avec elle loin de la lutte, des camarades et des parents, Ernesto prend de la voix et pousse son premier cri d’indépendance. Un choc pour ses parents qui n’envisagent pas de rendre les armes, pas même pour lui. Recentrée sur les visages, Enfance clandestine est une œuvre teintée d’une double beauté : celle d’une image délicatement nerveuse et celle d’un tableau subtilement nuancé. Certes, le militantisme s’érige sur l’autel de l’idéal, de la force et de l’intégrité mais dans le même temps, il fait aussi le sacrifice de la famille, de l’individualité et du libre arbitre, et plante dans le noyau familial, une source de conflits. Cerné par l’engagement, Ernesto prend tout naturellement le sien très à cœur. Guidé par son oncle Bento (l’excellent Ernesto Alterio), il fait ses premiers choix. Lever ou refuser de dresser le drapeau officiel, tenir tête à ses parents ou s’occuper de sa sœur, inviter ou non Maria à son anniversaire... Ernesto s’ancre dans le quotidien pour mieux grandir. Installé dans une carcasse de voiture noyée de feuilles mortes, il prend de l’âge et fait rêver Maria d’une virée au Brésil. Un peu plus tard, perdu dans un palais des glaces qui ne cesse de le renvoyer à sa fausse identité, il décide d’en finir avec son double imaginaire et propose à sa dulcinée de s’enfuir... Ernesto vient de pénétrer dans l’adolescence. Pourtant, face à la réalité, il reste un enfant qui n’accepte la violence qu’exposée dans les bandes dessinées. Incapable d’accepter sa dureté, il déverse sur l’écran une série de coups de feu animés. Joliment onirique, Enfance clandestine est une histoire simple, magnifiquement incarnée (Natalia Oreiro est d’un charisme à couper le souffle) qui sous le vernis d’un voyage initiatique aborde la complexité d’une guérilla longue de presque dix ans. À découvrir.
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