Le Diable, évidemment
Le 19 juillet 2009
Lang dénonce le mal qui habite le monde dans un diptyque d’une inventivité et d’un cocasserie visuelle stupéfiantes.
- Réalisateur : Fritz Lang
- Acteurs : Rudolf Klein-Rogge, Paul Richter, Hans Adalbert Schlettow, Bernhard Goetzke, Georg John, Aud Egede Nissen, Gertrude Welcker
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Film muet, Film de gangsters
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : MK2 Video
- Plus d'informations : Histoire du Polar au cinéma
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– Durée : 2h35mn (Le joueur) ; 2h43mn (Inferno)
– Titre original : Dr Mabuse, der Spieler
Lang dénonce le mal qui habite le monde dans un diptyque d’une inventivité et d’un cocasserie visuelle stupéfiantes.
L’argument : Le docteur Mabuse est officiellement psychanalyste. Mais dans la coulisse du grand monde - celui des aristocrates des affaires ou de la Bourse - il produit de la fausse monnaie et trompe ses compagnons de jeu. Doté d’un pouvoir de suggestion diabolique, il manipule autour de lui pour asseoir son pouvoir. Le procureur von Wenck se lance à la poursuite de ce personnage secret et fuyant, entre les arcanes des cabarets à la mode et les alcôves des industriels riches et oisifs.
Notre avis : Récapitulons : Fritz Lang a déjà quelques films a son actif lorsqu’il adapte en 1922 pour le cinéma un feuilleton littéraire de Norbert Jacques autour d’un personnage mystérieux et maléfique doté de pouvoirs surprenants, le docteur Mabuse. L’Allemagne ruinée de l’après-guerre vacille entre les folies dispendieuses et artistes de la fameuse République de Weimar et une crise économique et politique inquiétante. C’est le règne de l’instabilité, de la corruption et de la spéculation. En 1922, les monstres n’ont pas encore pris le pouvoir dans le pays mais le cinéma allemand les annonce à longueur de chefs-d’œuvre. La boîte de Pandore expressionniste est ouverte : Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1919), les épisodes de Satanas par Murnau la même année, bientôt suivis, en 1927, par le célèbre Nosferatu du même Murnau. Entre-temps, Fritz Lang s’empare d’un feuilleton paru dans la presse et crée le personnage du docteur Mabuse, "psychanalyste" dévoyé entre Faust et Fantomas. L’époque est aux monstres sournois dotés de super-pouvoirs médiumniques. Mabuse est donc le "monstre" (terme impropre) de Fritz Lang, qu’il n’est pas prêt de lâcher (il tourne Le testament du docteur Mabuse en 1933, puis Le diabolique docteur Mabuse en 1960). En 1922 Lang s’inscrit dans un genre - le cinéma feuilletonesque - dans un style - le fameux expressionnisme allemand, gros yeux terrifiés et lumières blafardes [1] - mais plus encore dans un thème qui hantera tout son cinéma : celui du mal, incarné dans des figures manipulatrices, séductrices et... curieusement invisibles.
Qui est le docteur Mabuse ? Existe-t-il vraiment ? Le sous-titre du premier opus (en six actes et 2h30) est intriguant : le docteur Mabuse c’est "le joueur". Certes le film, extrêmement et admirablement stylisé, plein d’humour et de surprises aussi (on est déjà dans le cinéma de Fritz Lang, où on ne s’ennuie jamais) dénonce copieusement le culte de l’argent et de la spéculation, mais avant tout le héros maléfique joue avec ses multiples possibilités. Il n’est jamais identifié, il change de nom, il mystifie toute la comédie humaine qui l’entoure, il fausse les monnaies, celle des billets de banque comme celle des jeux de cartes. Il passe à travers ces murs qui enferment les pauvres créatures sociales comme vous et moi dans des identités, des comportements, des habitudes. Il est déjà l’homme des réseaux.
Mabuse est évidemment diabolique mais surtout on ne sait pas qui il est. Insaisissable, il est partout et nulle part, et aucun personnage ne répond plus exactement à cette définition du diable : sa plus grande ruse est de nous faire croire qu’il n’existe pas. Mabuse serait-il une préfiguration de ce "M" maudit parce qu’invisible et insaisissable ? Mabuse abuse son monde pour mieux montrer, révéler les abus du monde : excès de la Bourse au fonctionnement irrationnel et absurde, mensonges et manipulations de l’Amour...
Quant au but qu’il poursuit, le connaît-on vraiment ? Celui de son créateur, qu’il poursuivra de film en film et jusqu’en Amérique, est déjà tout entier dans ce personnage très littéraire et dans ce diptyque d’une inventivité et d’une cocasserie visuelles stupéfiantes (la reconstitution, image et son, est remarquable dans le double DVD des éditions MK2). Fritz Lang est cet artiste qui assume la plus sérieuse et la plus sombre dénonciation du mal qui habite le monde avec le style le plus curieux et le plus inattendu. Et déjà le plus maîtrisé. Rappelons aussi l’étonnante modernité de ce film muet et octogénaire : de quoi inspirer tous les pâles Greenaway, et où le cinéma d’avant et d’arrière-garde pourrait puiser bien des motifs de réflexion...
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : Il s’agit d’un documentaire d’une trentaine de minutes, intitulé Les motifs et thèmes de Mabuse, dans lequel on peut découvrir, fait rare, l’interprétation de Fritz Lang sur le personnage. A apprécier bien sûr après la vision du film. Douze autres petites minutes sont consacrées au travail du compositeur allemand Aljoscha Zimmermann pour cette version restaurée, afin de remplacer la musique originale de Gottfried Huppertz aujourd’hui disparue. Un sujet donne la parole à l’écrivain Norbert Jacques, le créateur du docteur Mabuse. Enfin, les amoureux de l’expressionnisme allemand se jetteront sur la formidable base de donnée composée de biographies, filmographies et nombreuses galeries de photos.
Image & son : Il faut féliciter les éditions MK2 pour le formidable travail de restauration effectué. Si l’ensemble n’est pas totalement propre (quelques poussières çà et là), on reste ébahi devant la virtuosité visuelle du film. L’instabilité de certains plans ajoute même un charme d’antan à ce chef-d’œuvre du cinéma.
[1] Raccourci tout à fait léger pour désigner une esthétique aussi riche que l’expressionnisme allemand, qui est loin de se limiter à ces quelques effets de style réducteurs...
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