Patrie orpheline
Le 19 mars 2013
A demi-mot, sans tomber dans les pièges mélodramatiques de l’explicite, Aida Begic témoigne de la vie que mènent aujourd’hui les enfants de Sarajavo, dans une Bosnie dans l’après-guerre perpétuel. Nécessaire.


- Réalisateur : Aida Begic
- Acteur : Ismir Gagula
- Nationalité : Bosniaque
- Durée : 1h30mn
- Date de sortie : 20 mars 2013
- Festival : Festival de Cannes 2012, Festival du Film de Vendôme

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A demi-mot, sans tomber dans les pièges mélodramatiques de l’explicite, Aida Begic témoigne de la vie que mènent aujourd’hui les enfants de Sarajavo, dans une Bosnie dans l’après-guerre perpétuel. Nécessaire.
L’argument : Rahima, 23 ans, et son frère Nedim, 14 ans, sont des orphelins de guerre de Bosnie. Ils habitent Sarajevo, dans cette société transitoire qui a perdu toute compassion pour les enfants de ceux qui sont morts pendant le siège de la ville. Après une adolescence délinquante, Rahima a trouvé un réconfort dans l’Islam et elle espère que son frère suivra ses pas.
Notre avis : Djeca, en serbo-croate veut dire, « les petits », c’est un terme affectueux qui contraste avec l’atmosphère du très beau et sombre sélectionné à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard. Le titre semble choisi pour rappeler que c’est bien d’enfants dont il est question, ce qu’on oublie tant la dureté de la vie à Sarajevo efface toute trace d’insouciance et d’innocence chez Rahima et Nedim. Il ne subsiste en eux quasiment plus aucun écho de l’enfance qu’ils ont passée dans un orphelinat, et dont les images filmées avec de vieux caméscopes rappellent qu’ils ont bien été, un jour, des mômes comme les autres.
Ils sont frère et sœur, mais souvent le lien entre eux devient celui qui unit une mère et son fils. Ils forment un duo explosif au sein duquel Rahima répare les coups d’éclat de son frère, tente de panser ses blessures d’orphelin maltraité par ses camarades, et de subvenir matériellement à leurs besoins.
Le sujet, en creux, est l’amour, qui à première vue est absent du film. On guette un espoir, un geste d’affection, mais Rahima a évacué de sa vie la tendresse, comme elle a ravalé sa rage punk pour prendre le voile et devenir soutien de famille.
Le sous texte est important : on apprend, ou devine, que Rahima, plus jeune, avait emprunté une toute autre voie que l’austère rigueur qu’elle observe aujourd’hui. On comprend aussi que les deux personnages n’ont plus que l’autre au monde, et que la société bosniaque ne fait pas de cadeau à ses orphelins de guerre, pourtant ceux qui ont payé le plus lourd tribut au conflit qui a ensanglanté le pays dans les années 1990.
Rien n’est explicite dans cette oeuvre où les sons et l’éclairage en disent bien plus long que les mots sur les tourments intérieurs des personnages et de la société toute entière. Rahima, Nedim et les autres sont plongés dans une enclave sinistre, et la vie à Sarajevo ressemble à une éternelle fin du monde où les quelques survivants tentent de s’arranger avec le quotidien malgré tout, en serrant les dents.
La bande son est une présence continue, aussi menaçante qu’invisible, écho inévitable de la guerre, hante la mémoire des Bosniaques.
Le vrai sujet du film, c’est cet après-guerre interminable : point de libération ni de renaissance à Sarajevo, où les voies du renouveau sont par avance définies comme viciées : le ministre roule en B.M. et méprise les plus miséreux, l’assistante sociale est corrompue, même la lumière du jour est absente du film. Elle est remplacée par les néons blafards du parking, ou ceux de la cuisine où Rahima coupe des rognons pour cinq cent euros par mois. Des immeubles en béton, la cuisine d’un restaurant, un parking désert : la réalisatrice choisit délibérément ce que la ville fait de plus oppressant afin de plonger cette histoire d’amour fraternelle dans le milieu le plus hostile qui soit, pour en faire ressortir la nécessité vitale.
La guerre en ex-Yougoslavie n’est pas terminée, elle continue pour les enfants du Kosovo, qui célèbre aujourd’hui leur 20 ans, et pour qui l’angoisse et l’austérité d’une existence privée de tout est devenue la grille de lecture du monde.