Le 8 février 2012
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Davantage qu’un simple recueil d’entretiens au sens "journalistique" du terme, cet ouvrage foisonnant est une pièce majeure pour qui souhaite porter un regard neuf sur la puissance musicale des images
Davantage qu’un simple recueil d’entretiens au sens "journalistique" du terme, cet ouvrage foisonnant est une pièce majeure pour qui souhaite porter un regard neuf sur la puissance musicale des images
Notes : Philippe Cassard est pianiste, concertiste, interprète unanimement salué de Schubert et de Debussy. Producteur à France Musique depuis 2005, ses "Notes du traducteur" ont obtenu le prix Scam en 2007. Il est l’auteur d’un essai sur Schubert (Actes Sud, Classica).
Notre avis : Deux temps trois mouvements impressionne d’abord par la virtuosité de son écriture. On y découvre la plume d’un musicien exigeant, confidentiel, généreux, bref d’un artiste abouti, dont la lecture procure un plaisir largement égalable à celui d’un roman ou d’une oeuvre de fiction. De ce point de vue, l’avant-propos est d’une sincérité remarquable, et Cassard nous y livre son parcours de cinéphile avec un détachement et une retenue où l’émotion point subtilement.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : même si ces entretiens "informels" ont été retranscrits a posteriori, ils l’ont été avec un merveilleux sens de la composition, de la mise en forme et une attention prêtée au style qui en font bien plus que de simples "interviews" anecdotiques. C’est ici un véritable dialogue qu’entament les critiques et le musicien, les postures s’inversant parfois de manière remarquable, lorsque Cassard livre une confidence sur ses goûts personnels (nunucherie de certains films de Demy, utilisation maladroite de la musique chez quelques cinéastes, etc) ou lorsque Marc Chevrie et Jean Narboni y vont de leurs références musicales personnelles. L’érudition, des deux côtés, est manifeste, et contribue pour beaucoup à la densité d’un ouvrage dont la lecture pourra paraître complexe à qui n’a pas révisé un minimum ses classiques.
Cela dit, le propos reste clair, notamment en raison de sa remarquable cohérence, et la "nécessité" d’avoir visionné les oeuvres mentionnées ne s’impose guère que lorsqu’il est question de séquences précises (analyse de Miller’s Crossing des frères Coen) ou d’entrer dans le détail d’une filmographie. Du reste, l’ouvrage s’adresse autant à des cinéphiles qu’à des mélomanes désireux d’élargir leur pratique, et s’il interroge les liens entre la musique et le septième art, ce n’est pas d’une manière scolaire, mais avec un foisonnement d’idées et une richesse intellectuelle assez rares dans les ouvrages abordant la question de la musique au cinéma.
En effet il ne s’agit pas ici - même si les auteurs le font ça et là - de commenter simplement l’usage de telle ou telle bande sonore ou de mentionner le travail des compositeurs de cinéma (du reste assez absents : c’est notre seul regret), mais de mettre à jour le lien physique entre ces deux moyens d’expression. Il y a un plaisir manifeste à entendre Cassard décrire telle séquence de Tarkovski, d’Hitchcock, ou telle scène de muet - cinéma qu’il apprécie sans arrangement sonore secondaire, comme cela se pratique parfois - pour la simple évocation du souffle et du rythme des images. Car il ne suffit pas (et le livre le dit admirablement) qu’un film comporte une bande-sonore pour être musical : le cinéma a son propre rythme, son propre tempo, sa propre voix, autant d’éléments qui se suffisent à eux-mêmes et vont parfois même jusqu’à inspirer la pratique du musicien.
Musicien, poète, Cassard tient ici tous les rôles : c’est aussi un formidable pédagogue, qui donne aux mélomanes autant qu’aux cinéphiles ou futurs cinéastes l’envie de s’inspirer ailleurs, en cela très loin du discours sur les prétendues vertus de la "spécialisation" des pratiques artistiques.
La littérature, dans cette configuration, n’est d’ailleurs pas en reste : Sarraute est convoquée et, plus généralement, le texte fait usage de divers procédés tels que la métaphore, les passages descriptifs ou narratifs, si bien que l’écriture apparaît comme le langage commun à tous les arts et le matériau de leur transition.
En clair : un ouvrage majeur pour apprécier, comprendre, étudier la puissance musicale du film. A des années-lumière d’une vision élitiste du classique, Deux temps trois mouvements donne envie de revoir toute la filmographie des plus grands pour y saisir un rythme jusque-là impalpable (ou seulement deviné) et redécouvrir une dimension parfois négligée du septième art, même si bon nombre d’auteurs (Michel Chion entre autres) ont heureusement, et depuis longtemps, souligné l’importance du son au cinéma.
Parution : 13 janvier 2012
18 euros, 272 pages, format 122 x 190mm
Galerie photos
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