Katana Connection
Le 1er août 2018
Entre métaphore sur le refoulement sexuel, défouloir anarchiste et conte de fée moderne, Der Samurai invoque le romantisme noir germanique et le renouvelle à grand renfort d’esthétisme pop.
- Réalisateur : Till Kleinert
- Acteurs : Michel Diercks, Pit Bukowski, Uwe Preuss
- Genre : Fantastique, Épouvante-horreur, LGBTQIA+
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : Zootrope Films
- Box-office : 1.563 entrées France / 1.082 entrées P.P.
- Date de sortie : 15 juillet 2015
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Un samouraï travesti au look improbable, quelque part entre Billy Idol et Jon Bon Jovi, terrorise les gangs de bikers et les habitants rétrogrades d’une petite ville de l’ex-Allemagne de l’est. On croirait les bons ingrédients d’une série B mais, pour son premier film, Till Kleinert propose une œuvre envoûtante et singulière, bien plus complexe qu’il n’y paraît. Entre métaphore sur le refoulement sexuel, défouloir anarchiste et conte de fée moderne, Der Samurai invoque le romantisme noir germanique et le renouvelle à grand renfort d’esthétisme pop.
L’argument : Jakob, un jeune flic un peu timide, mène une vie terne dans sa petite ville de province du Brandebourg. Un soir, il croise la route d’un travesti charismatique ivre de vengeance qui, armé d’un katana japonais, cultive un goût prononcé pour la décapitation. Troublé, Jakob cherche alors autant à l’arrêter qu’à l’accompagner dans son odyssée meurtrière…
- © 2015 Zootrope Films. Tous droits réservés.
Notre avis : Projet de fin d’études, Der Samurai nous révèle un jeune réalisateur allemand qui maîtrise déjà entièrement le médium cinématographique. Ayant tourné dans un bon nombre de festivals internationaux, le film a pu remporter le Prix du Jury au festival Mauvais Genre de Tours ou au festival des Maudits Films de Grenoble. À partir de ce 15 juillet, nous pourrons enfin découvrir en salles cet ovni à mi chemin entre film d’épouvante atmosphérique, satire sociale, thriller psychologique, conte de fée sur le thème de l’altérité et délire pop inspiré par les jeux vidéos et le cinéma de série B. Till Kleinert se joue des genres, mêle l’absurde et le sublime, crée des rapprochements étranges entre un David Lynch et un Takashi Miike et réinvestit les forêts nocturnes du romantisme noir germanique pour extérioriser au mieux le refoulé.
Plusieurs influences fondamentales entrent en jeu dans son film. Tout d’abord, nous suivons le jeune flic Jakob (Michel Diercks) dans sa quête d’un loup qui terrorise la région, tuant les animaux domestiques ou le bétail. Afin de l’éloigner et de calmer son appétit vorace, il lui procure de la viande qu’il suspend à un arbre au fin fond des bois. Ce décor de végétation épaisse nous renvoie aux contes de Grimm mais aussi à d’autres sources revendiquées par le réalisateur, comme La compagnie des loups (1984) de Neil Jordan. Un autre film cité par le cinéaste et le Hitcher (1986) de Robert Harmon. L’autostoppeur terrifiant serait ici remplacé par ce travesti blond vêtu d’une longue robe blanche et armé de son katana. Le tueur à l’ambiguïté sexuelle est lui même une figure qui a donné un bon nombre de scènes cultes du cinéma horrifique et du slasher (Pulsions, Massacre au camp d’été, La maison de la terreur, Le silence des agneaux...). Pourtant, le propos de Kleinert n’est pas de se limiter à un vocabulaire de l’angoisse, il insuffle dans son film de l’humour et aime à jouer des décalages, comme dans une scène porno gore où la violence expiatrice des images est accompagnée par une chanson pop sirupeuse du groupe suédois The Ark.
- © 2015 Zootrope Films. Tous droits réservés.
Mais sous cette esthétique du décalage, un propos plus intime transparaît. Jakob, le protagoniste du film, est un être terriblement seul dans cette petite bourgade isolée. Souvent appelé le "Loup Solitaire", il est à l’image de cet animal qu’il pourchasse. Dès que l’étrange être bestial à la robe blanche fait irruption dans sa vie, sa ronde nocturne prend alors une dimension métaphysique. Dans cette "nuit de l’âme" vont alors émerger toutes les pulsions qu’il avait enfouies jusqu’alors. En effet, le quotidien de Jakob est plutôt morne et désespérant : des parents morts, une grand-mère malade à s’occuper, aucun ami, des motards qui le narguent volontiers et surtout une sexualité qu’il n’assume pas. Der Samurai se sert ainsi du thème classique de la littérature fantastique, le double ou doppelgänger, pour nous parler d’identité sexuelle, de désir et de quête de soi.
Le film confronte un ordre établi et un chaos sauvage. Le sens de l’autorité, de la tradition, du respect des codes sociaux est ainsi totalement mis en branle par ce samouraï rock’n’roll qui arrache la tête de tout ce qui fait pression sur le pauvre Jakob. Dans un plan assez parlant, on voit le policier courir dans une maquette qu’il semble avoir construite lui même et qui fait écho à l’environnement dans lequel il a grandi depuis l’enfance. La violence incontrôlable du samouraï va révéler un univers en lui qui menace d’imploser. Le travesti au sabre (seul élément qui le rapproche vraiment des samuraïs, qui ont une éthique du devoir et de l’honneur plus proche du métier de Jakob) joué par Pit Bukowski représente tout cela, l’irrationnel, l’anarchique, le sexuel, le chaotique, l’hystérique. C’est le monstre lâché en pleine nature et forcément cela fait des dégâts. Sous son emprise, Jakob sortira d’une forme d’adolescence pour explorer une altérité qui le fascine.
- © 2015 Zootrope Films. Tous droits réservés.
Tourné près de la frontière polonaise, le film de Kleinert, véritable thriller gay, bénéficie d’une superbe photographie (la nature sombre et les petites maisons sont magnifiquement éclairées) et d’un sens de l’atmosphère qui en fait une expérience envoûtante. Plus encore, le réalisateur semble avoir construit son film comme une parade amoureuse, une chorégraphie qui amène à deux scènes fortes du film que l’on ne vous révélera pas pour garder la surprise. La complicité entre les deux acteurs principaux est là aussi un régal, et on ne peut nier leur implication totale, surtout pour Pit Bukowski qui en révèle long (et dur !) sur son anatomie. Si Der Samurai ne fait preuve d’aucune frilosité envers le mauvais goût, il obéit aussi à une logique de cauchemar (ou de rêve) qui en fait une expérience de cinéma unique, un peu irréelle et totalement libre.
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