D’Une Pierre deux coups - la critique du film

Pour sa première réalisation, Fejria Deliba a choisi de s’arrêter sur l’histoire singulière de Zayane, une femme algérienne analphabète, éclairée en filigrane par les liens d’amour et de conflit entre la France et l’Algérie, faisant ainsi d’une pierre deux coups. Une jolie manière de tordre le cou à bien des clichés.

L’argument : Zayane a 75 ans. Depuis qu’elle est arrivée en France, elle n’a jamais dépassé les frontières de sa cité. Un jour, elle reçoit une lettre lui annonçant le décès d’un homme qu’elle a connu, autrefois, en Algérie. Le temps d’une journée, elle part récupérer une boîte que le défunt lui a léguée. Pendant son absence, ses onze enfants se réunissent dans son appartement et découvrent un pan de sa vie de leur mère jusque-là ignorée par tous.

(C) Haut et Court

Notre avis : Elle-même issue d’une grande fratrie et élevée par une mère qui ne savait ni lire, ni écrire, la réalisatrice s’attache à poser un regard différent sur la banlieue, particulièrement à travers les femmes qui en sont le cœur et dont on ne parle jamais. A l ’image de Zayane, elles se glissent en silence et sans se plaindre dans un quotidien qu’il leur faut apprivoiser, d’autant plus difficilement qu’elle n’en possède pas les codes les plus élémentaires. Néanmoins, elles refusent d’être considérées comme des victimes. Elles sont des mères comme les autres. Elles ont des vies de femmes, avec leurs joies, leurs peines et leurs secrets. Zayane est toujours disponible pour rendre des services à ses voisins, à ses enfants mais personne ne songe qu’elle puisse avoir une vie intime en dehors de cette existence de dignité et de dévouement. Forte et franche, c’est une héroïne qui force le respect, en quelque sorte la grande sœur de la Fatima de Philippe Faucon. Elle en a la même générosité et le même courage.
La cité, qui est son monde, la protège. Quand elle doit la quitter pour entamer ce retour vers son passé, elle est désorientée et malgré la présence rassurante de son amie (merveilleuse Brigitte Rouan), ce voyage prend l’allure d’une véritable épopée. Elle que personne n’écoute jamais va enfin avoir l’occasion de se raconter. Elle qui a toujours paru si solide va pouvoir révéler sa fragilité sociale. La rencontre avec son ex-patronne, que la réalisatrice utilise habilement pour évoquer le fantôme de la colonisation française, prouvera pourtant qu’elle ne manque pas d’armes pour se défendre. Si elle n’est pas près de renoncer à sa dignité, elle n’en oublie pas pour autant de pimenter sa vie de bon sens et d’humour pour notre plus grand bonheur. La comédienne Milouda Chaqiq incarne pile poil cette femme sincère et au caractère bien trempé. Son français à l’accent chantant accentue encore son authenticité.

(C) Haut et Court
Parallèlement se dessine une autre histoire : celle de Zayane et de ses enfants à qui quelques figures charismatiques du cinéma français, dont l’épatant Zinedine Soualem, ont prêté leur talent. Que vont-ils devenir si elle n’est plus là pour s’occuper des enfants, préparer les repas, avancer le repassage ? D’abord surpris par son absence, ils finissent par s’inquiéter jusqu’à la découverte de son secret. Face à leur réaction, on ne peut s’empêcher de penser au beau Sur la route de Madison de Clint Eastwood qui nous délivre le même message universel. Qu’ils soient nés au pays de l’oncle Sam ou dans une banlieue oubliée de France, tous les enfants sont assurés que leur mère n’appartient qu’à eux. Envisager qu’elle ait pu vivre un amour clandestin est inconcevable. Pour les enfants de Zayane, le dénominateur commun, c’est cet amour égal qu’elle a distribué à chacun d’eux. Pourtant, ils ne se ressemblent pas. Certains perpétuent les traditions de leur pays d’origine pendant que d’autres vivent en parfaite harmonie avec les coutumes françaises, prouvant ainsi que l’éducation ne fait pas tout. Autour de la table où ils sont réunis, leurs réactions se heurteront, les tensions s’attiseront, nous permettant d’assister aux scènes les plus touchantes du film et d’aboutir à une conclusion forte en émotion. Sur fond de « Je t’aime moi non plus » franco-algérien, ce film simple et attachant bénéficie d’une réflexion positive sur l’intégration, doublée d’une belle comédie familiale. Intéressant à tous points de vue.