Human Nature
Le 29 avril 2014
Gondry brouille de nouveau les pistes avec ce documentaire animé plus intimiste qu’il n’y paraît. Un exercice de style fascinant et accessible à ranger auprès des meilleurs films de son auteur.
- Réalisateur : Michel Gondry
- Acteur : Noam Chomsky
- Genre : Documentaire, Animation, Expérimental
- Nationalité : Français
- Durée : 1h28mn
- Titre original : Is the Man Who Is Tall Happy?: An Animated Conversation with Noam Chomsky
- Date de sortie : 30 avril 2014
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– Année de production : 2013
Gondry brouille de nouveau les pistes avec ce documentaire animé plus intimiste qu’il n’y paraît. Un exercice de style fascinant et accessible à ranger auprès des meilleurs films de son auteur.
L’argument : À travers une série d’entretiens, Michel Gondry illustre, au sens propre comme au figuré, les théories de Noam Chomsky, ainsi que les moments personnels que Chomsky révèle, dans un film d’animation, où la créativité et l’imagination de Gondry se mettent au service de la rigueur intellectuelle de Chomsky.
Notre avis : Encore une fois, ce n’est pas exactement là qu’on attendait Michel Gondry. Et pourtant, il y a quelques années, le cinéaste bricoleur avait déjà préparé le terrain : début 2010, entre Soyez sympas, rembobinez (2008) et The Green Hornet (2011), la planète cinéma voyait arriver en salles avec surprise un documentaire minimaliste signé Gondry, portrait poignant de sa tante Suzette intitulé L’Épine dans le cœur. Or, c’est précisément sous cet angle – art du dévoilement qui ne dit pas son nom - qu’il traite Conversation animée avec Noam Chomsky. Ainsi, même si le but du documentaire est bien de présenter Noam Chomsky, à l’automne de sa vie, et de lui rendre hommage, c’est aussi l’occasion pour le réalisateur de dévoiler au spectateur une part de son intimité, de se révéler à travers l’interprétation de l’œuvre du philosophe. De ses autres œuvres, on retrouve avec plaisir la marque de fabrique : l’appétence pour une construction a priori chaotique mais dont la logique en réalité imparable se révèle sur la longueur. Une composition arty qui n’a vraiment rien de la coquetterie et qui montre que Gondry n’est pas un documentariste ordinaire. D’ailleurs, il faut interpréter le titre Conversation animée avec Noam Chomsky de façon littérale : d’un bout à l’autre, le cinéaste se joue du classique champ-contre-champ parsemé d’images d’archives et rompt avec la standardisation. À contre courant, l’ensemble s’apparente à une succession de séquences animées au milieu desquelles émerge de temps à autre en médaillon le visage du linguiste-philosophe.
L’intérêt de Conversation animée avec Noam Chomsky est de tisser une sorte de work in progress via la réflexion du cinéaste sur l’œuvre du philosophe, avec tout ce que cela implique de ratures et de digressions plus ou moins pertinentes. À mesure que le film avance, Michel Gondry décode avec nous les circonvolutions de la pensée de Chomsky, tantôt en forçant un peu les portes, tantôt en mettant le point sur un angle inédit. Or, la force de ce procédé est que même les personnes ne connaissant que très vaguement la trajectoire du penseur ne sont pas désarçonnées, ou à de très rares exceptions. En somme, Gondry parvient à donner un véritable aperçu, personnel et stylisé, de l’un des plus brillants cerveaux de notre époque, à rappeler que l’influence de cet homme ne se limite pas seulement aux bancs de l’université mais s’étend bien au-delà. Quel que soit le sujet abordé, d’Aristote à l’holocauste en passant par Galilée, Newton, l’origine du langage ou Descartes, les illustrations animées du réalisateur ne trahissent ni ne vulgarisent jamais en rien la complexité de sa pensée. Mieux : ces dernières font parfois volontairement faire fausse route au spectateur afin qu’il se heurte empiriquement à la difficulté et à la sophistication des concepts évoqués, souvent loin d’être aussi évidents qu’ils y paraissent. Des cheminements alambiqués révélant par là même, en filigrane, le rapport de Gondry à la créativité, sa façon de caractériser les tréfonds du langage. En superposant ses dessins à la parole du penseur, il s’adonne consciemment ou non au making of de son propre travail, comme s’il s’agissait de divulguer la matière parlée dont sont faites ses expérimentations plastiques, le point zéro de son écriture. À la différence près que le matériau initial utilisé pour donner forme aux animations n’est pas le sien. À ce propos, hormis le fait que Gondry ait toujours eu un penchant pour l’art brut et les formes minimalistes, les dessins enfantins ne sont pas un hasard. Car pour Chomsky, si les enfants intègrent aussi facilement les opérations complexes du langage, c’est parce qu’ils possèdent déjà de façon innée les principes les guidant dans la construction de la grammaire de leur langue. De fait, nos cerveaux seraient selon lui prédisposés à des structures particulières de langage, des principes syntaxiques – comme une grammaire universelle - que l’on retrouverait dans les 5 000 ou 6 000 langues de la planète. Grammaire universelle que Gondry illustre avec brio par le biais de ses dessins enfantins.
Des difficultés, malgré tout, pour comprendre certaines allusions abordées par Chomsky ? Pas d’inquiétude, c’est la même chose pour Gondry, archéologue parfois à la peine. Heureusement, l’animation, moyen de communication hors pair, est là pour rattraper le coche. Au fil de l’échange, l’américain ne manque d’ailleurs pas de prendre le crayon du réalisateur pour expliciter ses interventions. Une technique en laquelle le français, lorsqu’il s’adresse au spectateur, est passé maître puisqu’à aucun moment son regard ne vient cloisonner la réflexion sinon suggérer quelques pistes poétiques, notamment au sujet des mécanismes obscurs de l’imagination. Une dimension onirique qui trouve son point d’orgue au moment où Noam Chomsky parle de sa femme défunte, séquence qui n’est pas sans rappeler les plus beaux instants de la carrière de Gondry. Dense, étonnant, fascinant, amusant : Conversation animée avec Noam Chomsky est un exercice de style comme on en fait peu, une nouvelle pièce maîtresse à classer parmi les œuvres les plus extraordinaires de la filmographie de bric et de broc de son créateur.
© Partizan Films
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