Maîtrise et émotion
Le 9 mars 2007
Deuxième coffret Carlotta consacré à l’œuvre de Yasujiro Ozu. Cinq films pour (re)découvrir une œuvre majeure, au style unique, profondément humaine et bouleversante.
- Réalisateur : Yasujirō Ozu
- Acteurs : Mariko Okada, Tatsuo Saitō, Hideo Sugawara, Chishū Ryū, Setsuko Hara, Chieko Higashiyama, Sō Yamamura, Chikage Awashima, Keiko Kishi, Shin Saburi, Chōko Iida, Haruko Sugimura, Takeshi Sakamoto, Michiyo Kogure, Ryō Ikebe, Tomio Aoki (Tokkan Kozō)
- Genre : Drame, Comédie dramatique
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Carlotta Films
L'a vu
Veut le voir
Chœur de Tokyo (Tokyo no gassho), 1h30mn, 1931
Une auberge à Tokyo (Tokyo no yado), 1h15mn, 1935
Eté précoce (Bakushu), 2h05mn, 1951
Le goût du riz au thé vert (Ochazuke no aji), 1h56mn, 1952
Printemps précoce (Soshun), 2h24mn, 1956
Deuxième coffret Carlotta consacré à l’œuvre de Yasujiro Ozu. Cinq films pour (re)découvrir une œuvre majeure, au style unique, profondément humaine et bouleversante.
L’argument : Chœur de Tokyo : A Ginza, un quartier du centre de Tokyo, un élève maladroit au collège devient modeste employé. Un jour de grand courage, il prend la défense d’un collègue renvoyé. Il se fait alors licencier.
Une auberge à Tokyo : Un homme vagabonde à la recherche d’un travail, accompagné de ses deux garçonnets.
Eté précoce : La résistance d’une jeune femme qui refuse le mariage souhaité par sa famille.
Le goût du riz au thé vert : Les difficultés d’un couple opposé par leur différence d’âge et leurs origines sociales.
Printemps précoce : Le jeune employé d’une fabrique de briques malheureux en ménage a une aventure avec une secrétaire. Ils deviennent la proie des ragots.
Notre avis : Excellente nouvelle que la sortie de ce deuxième volume des films d’Ozu. Une sélection judicieuse a été opérée dans l’œuvre foisonnante du grand cinéaste nippon, auteur d’une cinquantaine de films en trente-cinq ans. Cinq films sont ici proposés (voire six, car on peut y ajouter la douzaine de minutes qui reste d’un film perdu, J’ai été diplômé, mais..., en bonus).
On pourrait de prime abord constituer deux groupes des œuvres offertes. Les deux premières, datées des années 30, muettes. Les trois suivantes, situées dans les années 50, parlantes. A ces différences évidentes, s’ajoutent des distinctions narratives et stylistiques. Les films des années 30 s’appuient sur des événements plus nombreux, narrés sur un temps plus court. D’autre part, la caméra d’Ozu, encore sous une influence américaine (capitale dans sa vocation), bien qu’il s’en affranchisse alors de plus en plus [1], est assez mobile et les scènes d’extérieur nombreuses. Dans les années 50, Ozu a atteint le sommet de son art et signe les œuvres de la maturité. Son style, inimitable, est alors parfaitement abouti et maîtrisé. Plans fixes et champs/contrechamps se succèdent au profit de chroniques à la narration extrêmement épurée et soigneusement construite. Il privilégie les intérieurs (des foyers le plus souvent, mais également des entreprises ou restaurants) et y situe la majorité de ses scènes. Mais en définitive, la comparaison permet essentiellement de constater que ces films comportent de nombreux points communs.
Tous les films proposés sont fortement ancrés dans le contexte économique et social du Japon. Ainsi, les scénarios de Chœur de Tokyo et Une auberge à Tokyo puisent-ils leur source dans la crise et ses ravages. Dans les deux cas, le personnage principal est un père de famille au chômage, qui peine à retrouver un emploi. Tous deux se retrouvent confrontés à une situation très critique, qui les contraint à faire face, assumer leur position de père, opérer des choix ; la dramatisation est à son comble. Là où le premier connaît une fin optimiste, le second plonge dans un drame poignant, pour se placer parmi les plus grandes réussites du réalisateur. Plus tardifs, Eté précoce, Le goût du riz au thé vert et Printemps précoce portent eux aussi l’empreinte de leur époque, celle où le Japon se relève de la guerre. Sans jamais être central ni appuyé, le traumatisme qu’elle a laissé revient systématiquement, à travers les souvenirs d’anciens combattants ou l’évocation de la mort d’un fils ou d’un époux. Ce qui n’empêche pas la vie de reprendre ses droits. Le Japon se modernise et voit l’émergence d’une classe moyenne, composé de jeunes gens confrontés aux problèmes économiques, sociaux, familiaux, amoureux. Ce sont eux, leurs parents, leurs enfants qu’Ozu met en scène avec une grande acuité, à travers des récits admirablement construits, qui se gagnent sur la longueur et s’achèvent sur des scènes d’une très grande puissance émotionnelle.
Le thème dominant reste donc la famille, mais il s’enrichit d’une réflexion sur le mariage et le couple. La première est essentiellement étudiée sous l’angle des relations parents/enfants (la filiation, l’incompréhension entre petits et grands, leitmotive de l’œuvre ozuesque) et du mariage. Ce dernier révèle l’évolution des mœurs (l’émancipation des femmes, notamment dans Eté précoce et Le goût du riz au thé vert) et des relations familiales. Quant au couple, il se heurte également à l’incompréhension liées aux différences (d’âge, d’origine dans Le goût du riz au thé vert) ou aux accidents de la vie (la perte d’un enfant dans Printemps précoce). Ici, plus que dans les rapports familiaux, l’optimisme l’emporte dans des scènes d’une grande beauté (merveille du genre : la scène de la préparation de repas à la fin du Goût du riz au thé vert .
Art consommé de la mise en scène, originalité d’un style unique et en parfaite adéquation avec un propos subtil et sensible, fine observation psychologique et sociale donne naissance à des œuvres universelles, profondément humaines et d’une grande force émotionnelle. Magnifique.
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas manquer : Outre la très grande réussite de l’objet en lui même, l’éditeur propose nombre de suppléments. Le plus intéressant reste les douze minutes sauvegardées d’un film perdu, J’ai été diplômé, mais.... De quoi nourrir quelques regrets... Un documentaire de deux heures, J’ai vécu, mais... (1984), en donnant la parole à plusieurs collaborateurs directs du cinéaste (interprètes, scénaristes, collègues), apporte un éclairage précieux sur sa biographie comme ses méthodes de travail. Indispensable aux amateurs. Plus anecdotiques, mais très beaux, deux montages chronologiques de figures récurrentes dans l’œuvre du cinéaste : linges, fumées, poteaux électriques ; affiches et panneaux. Comme dans l’édition de Voyage à Tokyo, deux petits documentaires ludiques et informatifs sur les lieux de tournage d’Eté précoce et du Goût du saké (qui ne fait pas partie du coffret !). Enfin, les bonus s’enrichissent d’un livret entièrement rédigé par des étudiants en licence de cinéma, qui reviennent sur certaines de thématiques narratives et formelles abordées dans les films proposés. Une initiative à saluer.
Image & son : Toutes les œuvres ont fait l’objet d’une remasterisation complète et bienvenue. Cependant, les copies des deux films des années 30 sont très dégradées et nécessiteraient une restauration complète de l’image, ce qui n’est évidemment pas de la compétence de l’éditeur DVD. En revanche, le son est bon (signalons cependant que Chœur de Tokyo est totalement muet). Pour les œuvres des années 50, le travail est remarquable et rien ne vient entraver leur (re)découverte.
[1] Malgré de constantes références au cinéma occidental. On retrouve par exemple un intérieur décoré d’une affiche d’Harold Lloyd, et les noms de Katharine Hepburn, Gérard Philipe ou Jean Marais dans la bouche de ses personnages. Certaines scènes du Goût du riz au thé vert rappellent la comédie hollywoodienne sophistiquée
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.