Au bout du fil
Le 7 mars 2015
Un documentaire tendu et haletant retraçant les quelques jours de la vie d’Edward Snowden avant qu’il ne relève au monde entier l’un des plus grands scandales de la vie politique américaine.
- Réalisateur : Laura Poitras
- Acteurs : Glenn Greenwald, Kevin Bankston, Edward Snowden
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Britannique, Allemand
- Durée : 1h54mn
- Date de sortie : 4 mars 2015
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- Oscar du Meilleur Documentaire
Un documentaire tendu et haletant retraçant les quelques jours de la vie d’Edward Snowden avant qu’il ne relève au monde entier l’un des plus grands scandales de la vie politique américaine.
L’argument : En 2013, Edward Snowden déclenche l’un des plus grands séismes politiques aux Etats-Unis en révélant des documents secret-défense de la NSA. Sous le nom le code « CITIZENFOUR », il contacte la documentariste américaine Laura Poitras. Elle part le rejoindre à Hong Kong et réalise en temps réel CITIZENFOUR, un document historique unique et un portrait intime d’Edward Snowden.
Notre avis : CitizenFour est le dernier volet d’une trilogie réalisé par Laura Poitras portant sur l’Amérique post 11 septembre. Il succède à My country, My country, sorti en 2006 (sur la guerre en Irak) et The Oath datant de 2010 (sur la prison de Guantanamo)
Les premiers échanges entre la réalisatrice et Edward Snowden forment la première partie du documentaire. Une voix de femme, retrace, en off, le point de départ du film. Elle nous livre le contenu des mails envoyés par CitizenFour nous dévoilant ainsi son projet.
© Haut et Court
Les images inaugurales du documentaire se refusent pourtant à tout didactisme. Des plans larges, fixes, donnent à voir la maison de Glenn Greenwald, ce journaliste du Guardian qui divulguera le contenu des documents que possède Edward Snowden. Des chiens, insouciants, circulent devant la caméra, une voiture passe dans une rue paisible d’une banlieue américaine. Mais ce sentiment de sérénité apparente est vite contrebalancé par les éléments que nous découvrons. La voix off nous apprend que la NSA (National Security Agency) a outrepassé son rôle de surveillance en infiltrant les coordonnées personnelles de millions de citoyens américains, espionnant leurs faits et gestes sans raison. Et cela avec la complicité, non seulement, des renseignements américains mais aussi de grands opérateurs privés tels que Apple, Yahoo, Google, Facebook et autres sociétés de télécom. Vient s’ajouter à cette exposition des faits, une musique anxiogène, qui, dès les premiers plans, nous installe dans un climat de suffocation. Celle-ci réapparaitra, tout au long du film, comme un leitmotiv lancinant.
© Haut et Court
Cette entrée en matière annonce la deuxième partie du film qui, elle, se joue, à huis clos, dans la chambre d’un hôtel luxueux de Hong Kong, dans laquelle s’est reclus l’informaticien. C’est précisément à cet endroit qu’il donne rendez-vous à la réalisatrice et au journaliste du Guardian. Un dernier mail signale qu’ils le trouveront dans le hall, à l’entrée, jouant avec un Rubik’s cube. Le documentaire se mue alors en un véritable compte à rebours : de la rencontre des protagonistes à la révélation publique des documents.
La force de cette deuxième partie émane du procédé narratif qui rappellerait presque celui d’une tragédie classique : unité de temps, de lieu et d’action. Il convient de rappeler que la réalisatrice filme en temps réel l’étrange personnage qui se cache derrière CitizenFour. Elle se trouve, en quelque sorte, dans la même posture que le spectateur. Dès leur rencontre, les plans sont plus nerveux, la caméra portée de Laura Poitras (c’est elle, ici, qui est derrière la caméra) est le dépositaire des émotions et de la paranoïa qui entoure les personnes en présence. S’ensuit une semaine d’entretiens avec Snowden dans cette même chambre au décor on ne peut plus impersonnel. Le compte à rebours est alors lancé : les journalistes proposent de révéler jour après jour, une partie des données collectées par l’ingénieur.
La grande intelligence du montage est d’opposer la figure de Snowden, contraint de rester dans sa cellule d’isolement, à l’exposition médiatique croissante de l’affaire qui se joue à l’extérieur. A titre d’exemple, Laura Poitras filme le lanceur d’alerte, seul dans sa chambre, regardant l’écran de son téléviseur sur lequel s’affiche le visage du journaliste à qui il a livré des informations. Pour autant les entrevues n’ont rien d’intime : pour tout bagage Snowden possède un ordinateur, un agrégat de câbles et de disques durs, quelques vêtements, tous semblables. Tout tend à montrer qu’il est en transit et qu’il se barricade. Le personnage, lui-même demeurera opaque. Il dit vouloir tout révéler dans le but d’éclairer les citoyens américains sur la faillite de la justice face au pouvoir exécutif mais le spectateur n’en saura pas plus sur ses motivations personnelles.
Pour autant la connivence entre les protagonistes surgit par pointes absurdes. Et c’est là la richesse du film. L’investigation est mise à mal, à plusieurs reprises, lors de scènes burlesques au cours desquelles pointe l’angoisse du projet qui les réunit dans ces quelques mètres carrés. La paranoïa contagieuse est portée à son paroxysme lors d’une scène incroyable dans laquelle l’informaticien décide de se mettre un drap sur la tête , sa « cape magique », afin de taper son mot de passe en toute discrétion. Il dit craindre l’identification visuelle. Glenn Greenwald se retourne alors vers la caméra, interloqué. Dans la même veine, alors que Snowden s’apprête à éclairer les journalistes sur l’organisation interne du système de surveillance, l’alarme incendie de l’hôtel se déclenche. La nervosité des protagonistes est à son comble. Mais fausse alerte, ceci n’est pas un signe mais seulement un test de maintenance. Ce suspense lié, de fait, aux conditions du tournage en temps réel crée une atmosphère de tension qui rappelle, à bien des égards, les films d’espionnage.
© Haut et Court
Au même titre que les journalistes et la réalisatrice présents dans la chambre, le spectateur peut être contaminé par la paranoïa. Mais celui-ci est toujours rattrapé par le réel et ces instants de nervosité ’déceptive’ réactivent l’idée qu’il regarde bien un documentaire et non une fiction. Les objets les plus triviaux ou les scènes quotidiennes se chargent pourtant d’étrangeté a mesure que le film avance. Un simple appel téléphonique devient suspect, le réseau internet apparaît, tout a coup, menaçant. Les protagonistes se retrouvent, à la fois, en position de supériorité, car ils sont, de fait, détenteurs d’une vérité et d’un scoop, mais aussi dans une posture très vulnérable car ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir après ces révélations.
Pendant près de deux heures, le spectateur se trouve alors projeté dans un espace ou les objets eux -mêmes signalent qu’il peut être, au même titre que ses homologues américains, le jouet d’une surveillance. Laura Poitras livre un film dense qui pousse chaque citoyen du monde à réfléchir aux déviances de nos sociétés contemporaines et de nos politiques.
Dounia Georgeon
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