Le 2 août 2014
- Scénariste : Jorge Zentner>
- Dessinateur : Rubén Pellejero
- Série : Dieter Lumpen
- Genre : Aventure
- Editeur : MOSQUITO
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er mai 2014
Aventurier sans le sou, riche homme d’affaires, pêcheur sans prise ou chauffeur pour vieille dame, Dieter Lumpen traîne sa silhouette anonyme aux quatre coins de la planète. Cette intégrale regroupe les différents histoires récits courts et histoire longues de ce héros ordinaire.
Résumé :
Courant sur les toits d’Istanbul, Dieter Lumpen se retrouve embarqué dans une course à travers le monde. Chauffeur, il va devoir retrouver un poignard richement serti et surtout souvenir émouvant pour sa propriétaire originelle. Puis, il se retrouvera à la solde d’un homme riche et peu scrupuleux à Athènes, chargé d’aller tuer un inconnu ! Et ainsi se construit la vie de ce curieux personnage, faite d’inattendus, de mystères et de dépaysement.
Notre avis :
Jorge Zentner a lancé avec Dieter Lumpen un personnage collant de prime abord à l’archétype de l’aventurier anti-héros. Par là, nous entendons un personnage sans attache sentimentale, sans foyer, errant à travers le monde sans objectif précis, à part ceux que le hasard glisse entre ses mains. Vu sous cet angle, il n’y a rien de nouveau. Heureusement, en évitant de donner un caractère trop typé à son personnage, Zentner lui permet de se construire au fur et à mesure des tomes. Et on se rend compte que Dieter est courageux, lâche, amoureux, dragueur, sentimental, insensible, en fait, humain et si proche de nous !
La force de ce personnage est cette humanité, cette absence de courage incroyable qui fait les héros, cette capacité à changer d’avis ou de camp selon ses humeurs, sans en faire un vil opportuniste.
Et c’est pour cela qu’on déteste adorer Dieter, ou qu’on adore le détester. Ne sachant sur quel pied il va danser, nous ignorons nous-même de quel œil le regarder.
Un équilibre délicat que Zentner parvient à garder tout au long de cette intégrale.
Les histoires font aussi le saut d’un genre à l’autre mais avec moins de force que le caractère de Dieter, tour à tour protagoniste, témoin ou victime des événements. En effet, nous trouvons que Zentner offre parfois des fins trop classiques – on repense au Commandatore et à la conclusion de l’histoire du Vésuve dans Ennemis Communs – ou des histoires vraiment originales mais parfois désamorcées par des Deus ex machina trop décevants - comme la fin de Bombe à retardement -.
Le surnaturel s’invite souvent avec plaisir dans les récits mais il contribue aussi d’autres fois à influer le cours de l’histoire de manière un peu facile, on pense au Prix de Charon, original et classique à la fois.
Parfois, les réactions de Dieter sont intéressantes - relisez le méchant du film – mais l’action pêche et devient illogique. Là, on ne peut développer sans vous gâcher la surprise de la fin.
Autant les choix de narration sont parfois vraiment étonnants et prenants, autant certains ressorts dramatiques laissent pantois et déçus. La résolution de Jeux de Hasard apparaît tellement facile et même la chute ne rattrape pas cela !
C’est regrettable car on prend plaisir à suivre Dieter à travers ses errances mondiales et l’on est d’autant plus déçu quand le hasard fait trop bien les choses.
Si un certain cynisme traîne dans les pages, si l’on retrouve un début d’ambiance à la Corto, Dieter n’a rien à voir avec le marin Maltais. Là où Corto traîne sa royale indifférence, ses attachements sous-entendus, Dieter nous ramène à de simples valeurs humaines : détester, survivre, aimer, des valeurs qu’il incarne presque sans le vouloir... En cela, il est vraiment proche de nous et on se retrouve donc dans ce curieux vagabond.
Aux commandes du dessin, Jorge Pellejero opte pour un trait réaliste, jouant sur la force des lumières ou la noirceur des clair-obscurs. Parfois un soleil écrasant, ailleurs la douceur d’une sombre alcôve. Les couleurs évoluent en fonction de chaque histoire mais aussi des lieux. On notera le formidable enchaînement de cases qui démarre le Prix de Charon, plans fixes dont seul le soleil et les couleurs marquent le passage du temps, bien plus que les gesticulations du personnage.
Les décors sont parfois d’un trait semblant hésitant, parois d’une ligne simple séparant deux aplats de couleurs, mais cela contribue aussi à créer l’atmosphère un peu délétère des aventures de Dieter. Ils renforcent la marque de l’étrange quand celui-ci se répand de manière surprenante et insidieuse dans les histoires.
Le cadrage, par contre, démarre en dents de scie. Si les ombres du Poignard d’Istanbul sont souvent savamment mises en valeurs par le choix des prises de vue et de cases tout en longueur, le cadrage de la première course poursuite enchaîne les bizarreries de raccords, d’orientation des regards, de sens de déplacement des personnages et des projectiles.
Expliquons cela par l’image.
Sur cette page, Dieter court vers la droite dans la première case. D’accord. On le voit, dans la seconde case, s’enfuir de dos vers l’horizon et la troisième case nous montre un homme courant dans le sens opposé, vers la gauche. Perdu, il court dans le même sens que Dieter, c’est son poursuivant.
Allons deux pages plus loin.
Suite de la poursuite - oui, c’était un jeu de mots facile – Dieter s’enfuit et se cache dans une ruelle sombre. Un coup de feu, venant de sa droite, attire son attention. Il regarde donc à droite, tout va bien (case trois). La case suivante (case quatre) présente ce qu’il voit, son adversaire (celui qui courait à contre-sens). Soudain (case cinq) un coup de feu claque, une balle fend l’air de droite à gauche et frappe l’ennemi de Dieter en case six mais en allant de gauche à droite. A nouveau l’angle de vue saute d’un côté à l’autre. Mais bon, frappée dans le dos, on se doute que la victime tourne le dos au tireur. Ce qui sous-entend que pour voir ce fameux tireur, il faut regarder derrière l’adversaire de Dieter qui, ça tombe bien, vient de s’écrouler raide mort. Mais, case sept, Dieter regarde... à sa gauche (alors que pour regarder dans la même direction, il regardait à sa droite en case trois) !
Tout cela crée immédiatement une impression curieuse d’égarement. Une impression qui ne se continue pas tout au long de l’album, où ce type de curiosité ne se reproduit pas aussi fortement. Cette exception donne la sensation d’une erreur plus que d’un effet. Erreur que l’on retrouve parfois de manière plus réduite dans certaines scènes.
Les planches présentent deux (dans le cas des pages présentant le titre de l’épisode) à six bandes découpées en une à cinq cases. Sur cette structure, les cases peuvent varier de taille, avec plaisir, en hauteur autant qu’en largeur, permettant de saisir un panorama, une vue d’ensemble, un regard ou un geste.
Notons aussi que cette intégrale se finit par un beau cahier de cinq pages présentant les trop courts extraits d’un entretien avec Jorge Zentner suivi de magnifiques dessins de Pellejero : croquis, crayonnés, aquarelles, encrages, études que vous ne vous lasserez pas de regarder dans tous les sens.
Et n’oublions pas la très belle page de garde, croquis annoté d’un décor pour le prix de Charon et la note introductive à tout ce beau volume écrite par Tim Sale.
Car il est important de préciser que Les éditions Mosquito nous offrent une belle édition intégrale qui est un véritable plaisir à parcourir et à tenir en main. Intrigante couverture, papier de qualité et excellents mais trop courts suppléments feront la joie de tout amateur de beaux livres et de tous les fans de Dieter Lumpen.
Dieter Lumpen porte bien son nom renvoyant, en Argentin, à la notion de « débrouillard ». Cette intégrale, foisonnante d’idées, est souvent désappointante par certaines erreurs de narration qui gâchent un peu le réel plaisir que l’on éprouve à écumer le monde en compagnie de cet anti-héros si humain.
258 pages - 30€
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.