Le 25 novembre 2014
- Scénariste : Damien Marie>
- Dessinateur : Laurent Bonneau
- Genre : Drame
- Editeur : Grand Angle
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er août 2014
- Durée : 1
Ceux qui me restent raconte un curieux voyage au cœur d’un pays encore trop inconnu : le cerveau humain, en l’occurrence celui d’un homme dénommé Florent. Ce périple intérieur se double d’un mouvement extérieur qui nous amène dans une curieuse zone où se mélangent le présent et le passé, la douleur et la joie, le réel et l’irréel, car Florent souffre d’une maladie incurable...
Résumé :
Tout démarre avec Florent, jeune étudiant qui quitte la France pour rejoindre de l’autre côté de la Manche la fille qui le fait complètement craquer. Nous sautons alors d’étapes en étapes dans la vie de cet homme, jusqu’au moment où quelque chose ne colle pas, où le passé recoupe tout d’un coup le présent de manière impossible. A moins que ce ne soit le présent qui ne soit pas si présent que cela...
Notre avis :
Florent découvre l’amour avec Jenny, la paternité avec Lily et c’est après que tout s’embrouille. Cet homme que nous attrapons à différents âges de sa vie nous révèle de manière fractionnée ce qui le meut. Un objectif simple, qui se cristallise avec le temps, l’anime : retrouver sa fille Lily.
Mais il nous faut un temps pour saisir à quelle date se déroule l’histoire. Nous ne sautons pas dans le temps, mais dans les circonvolutions d’un cerveau humain et en plus d’un cerveau qui souffre de la maladie d’Alzheimer.
Il est difficile d’en dire plus sur l’histoire – et même, il se peut qu’on en ait déjà trop dit – car ce voyage prend un premier sens avec sa découverte et un second avec sa relecture.
Les souvenirs de Florent s’enfuient et cèdent la place au vide, qui joue un rôle important dans cette BD. L’espace s’étale tout au long de ce recueil de 150 pages qui se lit pourtant assez vite. Les cases ne peuvent contenir ce grand volume qui s’étire partout. Ce n’est pas le livre qui contient l’espace, mais l’espace qui englobe le livre. Ce même vide prend le pas sur les dialogues. Très peu d’échanges dans cette BD, tout se passe en images, se raconte de manière visuelle, le son a peu de place finalement.
Une question flotte en filigrane dans cette œuvre : Contre qui se bat Florent pour retrouver Lily ? Les autres, lui-même, Lily ? Cette réponse se trouve dans le cœur des auteurs et chaque lecteur se fera la sienne. Car nous doutons que quelqu’un puisse refermer ce livre sans mener sa lecture à terme. Nous sommes happés dans l’univers mental de Florent car il faut du temps pour comprendre où est la barrière entre cet irréel si réel et ce réel si absent. Et on se fait alors cueillir par l’émotion. Comme Florent, on navigue à vue. Les auteurs ont réussi le pari d’immerger le lecteur qui ne perçoit les événements que par les yeux de Florent. Et dès qu’il en sort, dès qu’il s’engouffre sur les pas de Lily, ce sont d’autres infos, souvent contradictoires, qui surgissent. Comment faire le tri entre le vrai et le faux ? Il ne s’agit que d’avis qui s’entrechoquent, se défient et s’opposent !
Ce travail d’écriture et ce parti pris marche et marque. C’est un nœud au creux de la gorge qu’on referme cette histoire. On aurait souhaité une autre fin. Peut-être... Peut-être pas car on sait au fond de soi qu’on n’aurait guère pu avoir mieux. La vie est dure mais même dans le noir, elle offre des escales de lumière. On se surprend à croiser les doigts au fur et à mesure du récit pour que ce père et sa fille parviennent au moins à se retrouver avant l’inéluctable. Et ce n’est pas la mort l’inéluctable, c’est ce vide qui s’empare de tout, des souvenirs, de la mémoire et après seulement de la vie. Nous regardons un combattant se battre sans savoir qu’il y a un adversaire à combattre, car le problème des malades d’Alzheimer est qu’ils ne savent pas forcément qu’ils souffrent de cette maladie.
Grâce à cette BD, on peut se faire une idée de ce qui peut se passer dans leur tête. Propos insensés, incohérents ? Ils ont un sens dans la tête de Florent et nous découvrons lequel au fur et à mesure de la lecture.
Conjointement à l’écrit, le dessin joue un rôle important dans cette dérive. Le travail de Laurent Bonneau complète habilement celui de Damien Marie à l’écriture. Ce travail de dessin joue sur l’inachevé, l’effacé. Des traits précis mais simples. Le mélange de différentes techniques, la trace du fusain, le trait de la gomme, un travail dense pour créer la simplicité de cette mémoire qui s’efface doucement. Les personnages sont dessinés de manière réaliste, mais sans trop pousser le trait, pour garder ce style d’esquisses.
Ce choix peut déstabiliser aux abords des premières pages. Nous ne pouvons vous donner qu’un conseil, laissez-vous emmener dans la vie de Florent et vous comprendrez rapidement pourquoi ce choix. Ce style si étrange à première vue devient nécessaire au fur et à mesure de l’histoire et il s’impose lentement, aussi lentement que la quête de Florent.
Les décors sont étranges, eux aussi mélangent les techniques et le degré de précision oscille selon les situations.
Les couleurs, simples, créent des zones de repères temporels puis finalement se dissocient pour marques des émotions plus que des temporalités.
Un regret, c’est que les moments réels avec Lily sont traités de la même manière (même si c’est moins poussé) graphique que les vies de Florent. On aurait souhaité un style qui tranche plus pour faire ressortir ces moments physiques par rapport au voyage psychique. A moins, bien sûr, que même ces passages-là soient le rêve d’un vieil homme qui espère et imagine... L’interprétation est entre vos mains et les pistes sont là, cachées aux détours d’une page.
Le cadrage est ample. Des zones en double page se mêlent avec des planches découpées en deux à quatre bandes de une à trois cases. Un découpage lent permet ainsi à chaque dessin de prendre sa place. Un découpage qui parvient souvent à ralentir le temps, à créer l’arrêt dans l’action. Et visuellement, un cadrage qui laisse une grande place au blanc. Une bande tout en largeur entourée de blanc, un page sans dessin avec une courte phrase, autant d’exemples montrant que le blanc de la page a été intégré dans la narration graphique. Un choix parlant et judicieux car il s’accorde parfaitement avec le sujet. Ce blanc qui effraye, déstabilise, inquiète, où l’on ne discerne rien, fait partie intégrante de la vie de Florent et de ce récit.
La couverture simple et magnifique exprime en un dessin tout le sombre contenu de Ceux qui me restent.
C’est avec une douce curiosité que l’on commence à lire Ceux Qui me restent, c’est avec une grande émotion qu’on le referme. Alors ne passez pas à côté de cette BD si intense, si douloureuse mais si humaine...
Comment lutter contre Alzheimer ? Zéda tente de trouver une réponse...
152 pages - 21,90€
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