Mélo lesbien
Le 12 janvier 2016
Avec Carol, Todd Haynes photographie l’élan d’une passion saphique dans un beau mélodrame. Mais si l’écrin est splendide, l’abus d’académisme guette.
- Réalisateur : Todd Haynes
- Acteurs : Cate Blanchett, Sarah Paulson, Rooney Mara, Kyle Chandler, John Magaro, Jake Lacy, Cory Michael Smith
- Genre : Drame, Romance, Mélodrame, LGBTQIA+
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : UGC Distribution
- Durée : 1h58mn
- Date télé : 4 décembre 2021 20:50
- Chaîne : TCM Cinéma
- Date de sortie : 13 janvier 2016
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Dans le New York des années 1950, Therese, jeune employée d’un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d’une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d’un mariage peu heureux. À l’étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle.
Critique : Déjà avec Loin du paradis, qui reprenait quelques-unes des grandes lignes de Tout ce que le ciel permet, Todd Haynes affirmait sa passion pour les mélodrames à la Douglas Sirk. Cathy, incarnée par Julianne Moore, y affrontait l’opprobre de l’opinion publique, de ses voisins ou encore de ses amis, vis-à-vis de sa relation amoureuse avec Raymond, son jardinier noir sensible et cultivé. Tandis que son mari Frank souffrait de ne pas pouvoir assumer son homosexualité. Petit à petit, les personnages voyaient leurs désirs plier sous la pression de la réalité sociale. Tout en reprenant comme cadre les années 1950 et quelques-unes des thématiques abordées de part et d’autre dans sa filmographie, Todd Haynes place ses personnages dans un monde où aucune échappatoire viable n’est possible.
- © UGC Distribution
Dès le plan-séquence d’introduction, qui s’ouvre sur une bouche d’égout, la caméra de l’Américain enferme Carol Aird (Cate Blachett) et Therese Belivet (Rooney Mara) dans un univers clos cerné de toute part. Dissimulées à une table dans un restaurant de la cinquième avenue, presque cloîtrées, elles sont interrompues par une connaissance. Il faudra attendre la fin du film pour connaître le contenu de leur conversation avant son intrusion, mais déjà l’anonymat de ce duo, qui on le sait doit vivre une histoire d’amour intense, est précaire. Celles que l’on devine amantes doivent se quitter, Therese devant rejoindre des amis à une soirée. Bientôt installée à l’arrière d’une voiture, le regard vague, celle-ci se plonge dans ses souvenirs et retrace sa rencontre avec Carol. Une histoire d’amour entre une modeste employée de grand magasin, et une bourgeoise malheureuse dans son mariage.
D’un bout à l’autre de son film, Todd Haynes oblige ses protagonistes à profiter des petites brèches laissées par la société conservatrice américaine, remettant en perspective la difficulté d’une histoire d’amour entre deux femmes dans les années 1950. A la façon des films noirs classiques, où les décors et éclairages traduisent la fatalité du destin du héros, les plans mettant en scène Carol ou Therese intègrent ici systématiquement un élément symbolique. Ce sont par exemple ces prises de vue où la perspective confine le protagoniste à travers l’encadrement d’une porte, d’une vitre détrempée, d’une fenêtre ou encore de persiennes. C’est que ni Carol, ni Therese ne peuvent se projeter totalement dans l’univers qui les entoure. D’où cette fragmentation et cette perspective brisée. La preuve : le seul moment où la réalisation se laisse aller à une envolée, avec plans larges mobiles et en extérieur, correspond à leur échappée façon road trip, lorsque l’une et l’autre sont délestés de l’emprise masculine. L’on notera d’ailleurs que tous les hommes pensant éprouver de l’amour pour une femme, dans Carol, ne font que projeter sur elle leur amour propre. Chacun d’entre eux, dès lors que leurs certitudes s’effondrent, se sentent blessés dans leur masculinité.
- © UGC Distribution
En substance, Carol va agir sur Therese – le véritable personnage du film – comme un révélateur. Depuis le moment où leurs regards se croisent dans le grand magasin jusqu’au plan final, le protagoniste incarné par Rooney Mara va vivre un parcours initiatique l’invitant à assumer son attirance sexuelle, et à ne plus s’en cacher. Dans le grand magasin, elle suggère à Carol d’acheter à sa fille un train électrique, puis cette dernière oublie volontairement sa paire de gants sur le comptoir. Point de départ d’un engrenage bien huilé que Todd Haynes filme avec une grande élégance - on pense aussi bien à Billy Wilder qu’à Matthew Weiner. Si rien ne déçoit dans Carol, pas même la belle séquence saphique, dommage que le réalisateur de Velvet Goldmine n’ait pas tenté davantage de scènes longues et risquées. De même, il manque à ce beau mélodrame une articulation lui permettant de parler au présent, en évoquant entre les lignes les tensions contemporaines liées à l’homosexualité. Pour cette raison, Todd Haynes devra à l’avenir s’aventurer un peu plus loin, et ainsi quitter sa zone de confort.
- © UGC Distribution
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