Le 11 mars 2014
Braddock, au nord-est des États-Unis, ancien bastion sidérurgique, a aujourd’hui perdu de sa superbe. Pourtant, une communauté ébauche au quotidien une action solidaire pour dessiner l’avenir. Un documentaire percutant !
- Réalisateurs : Jean-Loïc Portron - Gabriella Kessler
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Durée : 1h41min
- Date de sortie : 12 mars 2014
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Braddock, au nord-est des États-Unis, devenue une ville fantôme du fait de la désindustrialisation, nous renvoie implacablement aux conséquences tragiques d’un certain capitalisme. Un documentaire percutant !
L’argument : Au nord-est des États-Unis, la ville de Braddock, ancien bastion sidérurgique, a aujourd’hui perdu de sa superbe. Pourtant, une communauté ébauche au quotidien une action solidaire pour dessiner l’avenir.
Subtilement éclairé par des images d’hier et les voix des habitants de Braddock, survivants d’un passé révolu et unis dans leur volonté d’entreprendre et le désir de vivre ensemble, Braddock America est une allégorie. Le film raconte avec émotion l’histoire d’une ville américaine tout en racontant la nôtre : celle d’un Occident frappé par la désindustrialisation. Pourtant, sous les coups des pelleteuses, l’herbe pousse encore – et derrière les façades oxydées, des hommes vivent toujours.
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Notre avis : Des images de chiens qui errent parmi les détritus et les herbes folles dans des rues désertes et entre des maisons abandonnées… Un parfum de ruine, de chaos… Le documentaire de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler nous conduit à Braddock, petite bourgade américaine sinistrée des environs de Pittsburgh dans l’État de Pennsylvanie, sur la côte est des États-Unis.
Cette ville a connu une certaine notoriété en 1755, lors de la défaite et de la mort du général britannique Edward Braddock, dans la bataille qui l’opposa à des soldats français. Braddock devait connaître par la suite son heure de gloire, quand en 1873 Andrew Carnegie construisit la première aciérie à fabriquer de l’acier à moindre coût. Braddock est devenu alors en quelque sorte le berceau de la puissance industrielle des États-Unis. Les immigrants venaient de partout, du sud des USA comme d’Europe. Braddock fut ainsi une prospère terre d’accueil, un petit Eldorado. La cité était alors fort dynamique. Les premières automobiles dévalaient cette vallée de l’acier ; les bars, saloons, restaurants et autres « shops » étaient florissants.
Braddock devait ensuite connaître le déclin économique, puis l’exode en masse de ses habitants. Sa population est passée de 20 000 habitants en 1920 à 2 000 aujourd’hui. Scène significative de ce documentaire : la cérémonie d’un culte dans l’église baptiste évangélique, où un vieux pasteur officie dans un très grand espace devant des bancs vides et une dizaine de fidèles âgés, tapis dans le fond de la bâtisse.
Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler ont posé leur caméra et leur équipement vidéo pendant plusieurs semaines dans cette ville fantôme. Celle de « l’après », quand les industries ont disparu. Ils nous montrent combien le passé demeure pourtant présent en chacun des derniers rescapés du lieu.
Au fil d’un montage habile alliant de superbes images d’archives – qui font penser en quelque sorte à des fantômes de Braddock –, des témoignages des survivants de ce désastre et des situations de la vie quotidienne actuelle, la ville nous raconte son histoire et analyse finement les causes et les conséquences de l’effondrement de l’économie de l’acier aux États-Unis, dans les années 1970. Tout en nous renvoyant à notre propre histoire : celle des villes européennes frappées elles aussi par la désindustrialisation.
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Les interviews des habitants irréductibles – ceux qui n’ont pas fui la ville sinistrée –, filmés en plan fixe, face caméra, soulignent que coûte que coûte, ces gens s’accrochent à Braddock comme à une bouée de sauvetage. Comme s’ils ne croyaient toujours pas à ce qu’ils vivent : « On pensait qu’on pouvait fermer toutes les usines d’Amérique, mais pas la nôtre. ». Ces entretiens chargés d’émotions sont pourtant d’une grande lucidité : « Pas de fumée, pas de travail », dit un policier en désignant la grande cheminée, aujourd’hui froide, d’une des usines qui furent jadis le cœur de Braddock. Tous mettent en cause la cupidité et la lâcheté des patrons ainsi que l’attitude du gouvernement qui les a laissés tomber : « Ils n’en ont rien à foutre des pauvres et surtout des Noirs », entend-t-on. Le chômage fait des ravages dans la région. La municipalité n’a plus les moyens de restaurer les taudis éventrés, de réparer le stade sportif, de nettoyer les rues, ni de démolir plus de cinq maisons par an… Alors qu’il y en a 313 à détruire !
« Apprenez à nettoyer la ville, il faut être fier de vivre ici », martèlent les conseillers municipaux, dont on ne peut que louer le dévouement. Et on voit effectivement les habitants, hommes, femmes, enfants, donner un coup de propreté à leur Braddock. Dans un élan de grande solidarité, ils continuent à se mobiliser pour maintenir leur commune encore vivante. « Save Braddock ! », voit-on sur plusieurs panneaux lors d’un rassemblement pacifique.
De Braddock America émane comme une beauté étrangement poétique, liée à l’attachement que ses habitants éprouvent pour une cité qui les porte encore. Ils n’acceptent pas d’être réduits au rôle de victimes. Pas d’apitoiement – mais au contraire une grande bravoure, une lutte incessante pour survivre.
Beau documentaire, sensible, intelligent et rigoureux, Braddock America met délicatement et clairement en lumière les conséquences tragiques d’un certain capitalisme. Mais aussi du déclin américain, si bien décrit par un des policiers de la cité : « Nous vivons ce que vivent les empires affaiblis : les voleurs prennent tout. Chaque ville doit se battre pour sa survie. ».
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