Le 3 juillet 2016
Un long métrage qui sort des sentiers battus ; inégal, à la fois drame d’une extraordinaire noirceur et improbable féerie, il captive mais laisse quelque peu sceptique.
- Réalisateur : Gyeong-tae Roh
- Acteurs : Tae Hee Won, Hae Sung Lee, Hyun Joo Baek, Suk Goo Shon
- Genre : Drame
- Nationalité : Sud-coréen
- Durée : 1h32mn
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 27 juillet 2016
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Pendant que ses parents adoptifs se tuent à la tâche dans une usine agro-alimentaire de Séoul, Shon Sun est contraint d’effectuer son service militaire. Mais, victime de mauvais traitements, il est obligé de fuir l’armée. De retour à Séoul, il s’aperçoit que ses parents ont disparu. Bien décidé à les retrouver, il entame alors tout un périple à travers la jungle polluée, d’où est originaire son père…
- affiche du film
- Copyright Neon Productions - Outplay Distribution
Notre avis : Black Stone est un film étrange et en partie abscons, mélange pas toujours maîtrisé de genres et de registres et, ce qui en fait sa qualité principale, suffisamment surprenant pour intéresser dans sa totalité. Nettement scindé en deux parties, il présente un itinéraire initiatique, qui part de l’ombre pour aller vers la lumière, du réel vers le surnaturel, en un chemin austère : plans longs et silencieux, ellipses, quasi-absence de musique extra-diégétique… On est bien dans une œuvre « auteuriste » qui refuse les facilités. De même le jeu des acteurs est-il singulièrement intérieur, à la limite de l’ascétisme : c’est que le cinéaste refuse la psychologie et l’explication, tout à sa vision entomologiste et précise. Le comportement est privilégié par rapport au dialogue et il revient au spectateur de faire des liens, de combler des trous.
La première partie, la plus réaliste, est fondée sur un montage alterné entre les parents adoptifs qui s’échinent en un travail aliénant et Shon, le fils, humilié en permanence à l’armée. D’autant qu’il est métis, on ne cesse de le lui rappeler, ce qui lance sans la développer la piste du racisme (et, incidemment, de l’homophobie). Gyeong-tae Roh fait preuve d’une concision remarquable : une séquence, celle du gaz, suffit à créer le sentiment de mépris ; de même pour évoquer le malaise profond des parents choisit-il un biais intéressant, celui du dégoût face à la nourriture (un gros plan d’une bouche mâchant fait signe). Les personnages sont déconstruits, privés d’une vie réelle, objet de vexations continues : les brimades des chefs , à l’armée ou à l’usine, ruinent ce qui fait d’eux des humains, c’est à dire les sentiments, ce que le cinéaste rend visuellement par des morcellements (plans de mains, de chevilles …) un peu à la manière d’un Bresson. Dans ce monde froid à la lumière bleutée, la communication est inexistante : les repas sont silencieux, les différentes questions ne suscitent pas de réponses. On le voit, ce point de vue est désespérant autant que désespéré, et culmine dans l’éprouvante scène de viol. Sans doute le risque d’excès de noirceur n’est-il pas tout à fait évité : l’accumulation alourdit le propos et contamine les séquences « creuses » de marche ou d’isolement.
- spip-slider
- Copyright Outplay Distribution
La seconde partie s’ouvre par du soleil et la mer. On croit à une respiration mais, très vite, la noirceur reprend le dessus : la mer est polluée par une marée noire et les paysages ressemblent à des poubelles en plein air ; qui plus est, les retrouvailles père-fils sont froides et pour l’essentiel elliptiques. Mais le ton change néanmoins : d’abord les images de nature (arbres, animaux) humanisent enfin ce monde perdu. Mais surtout, Shon découvre les bienfaits des petites choses, dérisoires et fondamentales à la fois, que symbolise l’acte de nettoyer des pierres tachées de pétrole. C’est une forme de renaissance, idée reprise par les deux morts, celles de la grand-mère puis, métaphoriquement, du héros. On reconnaît les phases de l’initiation qui nécessite de mourir pour renaître ; la fumée qui s’élève par deux fois ressuscite en deux séquences oniriques et, il faut bien le dire, assez déconcertantes : les pierres qui volent, outre la maladresse des effets spéciaux (maladresse peut-être voulue, ça ne change rien), ressortissent d’une naïveté étonnante par rapport au début. Sans doute y-a-t-il accord avec le sens général que prend le film, et c’est là que le bât blesse : après donc une heure de noirceur totale, Shon vit une sorte de rédemption, trouve un accord avec la nature et les rites anciens auxquels se mêlent magie et panthéisme. Certes, rien de guilleret : on est toujours dans une rigueur ascétique, mais le contraste avec le quasi-nihilisme initial invite à une lecture simpliste et binaire que l’on attendait pas.
- Copyright Outplay Distribution
Dépassant l’itinéraire spirituel et matériel du personnage, on peut voir Black Stone comme un film post-apocalyptique : le film commence après la fin du monde, avec la perte d’humanité, le profit érigé en seule valeur, mais aussi la pollution et l’environnement misérable (voir la maison des parents). Gyeong-tae Roh décrit un univers fantomatique où les êtres parlent peu et sont réduits à l’obéissance et aux fonctions essentielles ; de ce constat il tire une conclusion logique, condamnant une société épuisée, incapable de sentiments. Puisque le monde n’en est plus un, il faut fuir : le père, puis Shon, reviennent donc à l’origine (la mer) et entreprennent sans le savoir une initiation au monde d’avant, lavant, en même temps que les pierres, leurs fautes passées, retrouvant une sorte d’Éden loin de la civilisation. En extrapolant, on pourrait lire le film comme une parabole sur notre présent et les solutions pour y échapper. Certes la solution proposée, cultiver son jardin comme le souhaitait Voltaire, peut paraître un peu courte, même mâtinée d’une spiritualité qui nous est pour partie étrangère. Reste que le cinéaste n’a pas choisi la facilité de s’enfermer dans le noir et le dramatique : il change de cap, et, tout en gardant une cohérence stylistique, prend le contre-pied du propos liminaire. En cela, il réussit un film étrange, mélange de tragique et de naïf, qui s’écarte des modes pour offrir un itinéraire intérieur constamment passionnant malgré d’indéniables maladresses scénaristiques.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.