Un procès nécessaire
Le 3 mars 2024
Un film poétique et pertinent sur la tragédie d’une Afrique plus que jamais consciente de ses maux et de ses responsables.
- Réalisateur : Abderrahmane Sissako
- Acteurs : Aïssa Maïga, Tiécoura Traoré, Aïssata Tall Sall
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Malien
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h58mn
- Date de sortie : 18 octobre 2006
- Festival : Festival de Cannes 2006
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Société civile africaine contre Banque mondiale et Fonds monétaire international. Chef d’accusation : ces organisations sont responsables du drame de l’Afrique. Tribunal compétent : un tribunal installé dans la cour d’une maison que se partagent plusieurs familles (cour commune) d’un quartier de Bamako, la capitale malienne. Insensible à cette cour d’appel, chacun de ses habitants vaque à ses occupations.
Critique : Bamako, du nom de la capitale du Mali, est une utopie comme seul le permet le cinéma. Un procès improbable que l’Afrique serait capable d’intenter chaque jour au monde entier. Les organisations de Bretton Woods sont soumises à un flot ininterrompu d’accusations avec preuves à l’appui. Le couple de Melé (Aïssa Maïga) Chaka (Tiécoura Traoré) - ils habitent la cour commune où a lieu le procès - en est une. Les "plans d’ajustements structurels" imposés par ces organisations ont coûté au chef de famille son emploi et son couple. Le chômage, conséquence de mesures draconiennes supposées aider les pays africains à se développer - et dont l’inefficacité est aujourd’hui reconnue et avérée -, a eu raison de son moral. Même s’il nourrit l’espoir d’être le gardien d’une éventuelle ambassade d’Israël dans son pays, Chaka s’est peu à peu éloigné de sa compagne, chanteuse dans une boîte de nuit. Les mélodies de cette dernière sont devenues des complaintes.
Le dernier film d’Abderrahmane Sissako, présenté hors compétition lors Festival de Cannes 2006, est une œuvre tout aussi artistique qu’engagée. Car tous ceux qui s’interrogent sur le drame africain ont désormais quelques clés pour appréhender ce continent dont les médias occidentaux ont la fâcheuse habitude de ne montrer que le pire. Et surtout pour dépasser leurs préjugés. Mais en plus, ils sont conviés à (re)découvrir l’univers métaphorique et poétique d’un réalisateur qui a donné libre cours à son inspiration. Est-il nécessaire de revenir sur l’ingénieuse idée d’un procès dans une cour commune qui continue de vivre à son rythme ? A contrario de ce cinéma qui nous vient d’Afrique de l’Ouest qui a trop tendance à s’appesantir sur les maux du continent sans nous offrir une once d’évasion, Bamako renouvelle le genre. L’intrigue appelle ainsi le spectateur à voyager dans des mondes parallèles qui ramènent à une même réalité. Fiction dans la fiction comme ce western spaghetti dans lequel on retrouve l’acteur américain Danny Glover. Docu-fiction, notamment parce que la quasi-totalité des avocats présents dans cette cour le sont dans la réalité et côtoient de vrais représentants de la société civile. La prestation de l’avocate sénégalaise Aïssata Tall Fall est d’ailleurs fort remarquable. Et enfin, reportage de Falaï, ami caméraman de Chaka.
Toutes ces manières de filmer se rejoignent pour donner une œuvre cohérente et unique. Reflet d’une Afrique malade par la faute des autres et d’elle-même. Elle a été pillée, ses enfants ont faim. Ses jeunes n’ont qu’une envie : fuir autant de misère au point de choisir de peut-être s’échouer sur les côtes espagnoles. Ses femmes s’échinent au travail et ses hommes se sentent impuissants. Comme le dit la Malienne Aminata Traoré, anonyme témoin de la défense, mais altermondialiste reconnue et saluée sur son continent, l’Afrique est victime de sa richesse. Voir Bamako, c’est commencer à le comprendre. C’est aussi accepter que les Africains sont des hommes et des femmes conscients et responsables, notamment quand il s’agit du futur de leur continent. Plus que jamais prêts à échapper à la fatalité. Effective ou virtuelle.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.