Fuck you, God !
Le 10 novembre 2015
Conte philosophique déjanté, satire macabre et rock’n’roll, Bad Boy Bubby est sans nul doute LE chef-d’œuvre de Rolf de Heer, une expérimentation visuelle et sonore au statut culte. À découvrir d’urgence dans sa version restaurée.
- Réalisateur : Rolf de Heer
- Acteurs : Nicholas Hope, Claire Benito, Ralph Cotterill, Carmel Johnson
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Italien, Australien
- Date de sortie : 1er novembre 1995
- Festival : L’Étrange Festival 2015, Fifigrot 2015
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Reprise : le 11 novembre 2015
Conte philosophique déjanté, satire macabre et rock’n’roll, Bad Boy Bubby est sans nul doute LE chef-d’œuvre de Rolf de Heer, une expérimentation visuelle et sonore au statut culte. À découvrir d’urgence dans sa version restaurée.
L’argument : Séquestré depuis sa naissance par sa mère, Bubby ignore tout du monde extérieur qu’il croit empoisonné. L’arrivée de son père, dont il était tenu éloigné, va bouleverser sa vie. Le jour de ses 35 ans, Bubby va enfin sortir. Il découvre un monde à la fois étrange, terrible et merveilleux où il y a des gens, de la pizza, de la musique et des arbres…
Notre avis : Grand Prix du public à la Mostra de Venise en 1993, Bad Boy Bubby rafla un sacré paquet de récompenses et fut un succès important du box-office australien lors de sa sortie initiale. Pourtant, les distributeurs étrangers se montrèrent très frileux face au caractère provocant et dérangeant du film. Du coup, l’œuvre ne put obtenir la diffusion qu’elle méritait. Qu’importe, Bad Boy Bubby est devenu totalement culte. Il existe même des gens en Nouvelle Zélande qui se sont fait tatouer des scènes du film sur le corps (voir L’interview de Rolf de Heer) et des soirées sont organisées régulièrement où le public s’habille comme les personnages et reprend des répliques de dialogue à l’identique, un peu comme pour le Rocky Horror Picture Show. Admiré par Nick Cave ou Quentin Tarantino, Bad Boy Bubby reste aussi le film le plus célèbre de Rolf de Heer, activiste du cinéma à petit budget australien depuis plus de trente ans. Seul peut-être le tendu Alexandra’s Project a bénéficié d’une même aura populaire. C’est bien dommage car Rolf de Heer est un metteur en scène absolument passionnant qui s’évertue à ne jamais faire deux fois le même film et à changer son style et son esthétique à chaque tournage. Du muet (Dr. Plonk) à la science-fiction (Incident at Raven’s Gate) en passant par le réalisme magique (Le vieux qui lisait des romans d’amour) ou le western pavillonnaire (The King is dead !), il sait toujours tirer le meilleur parti des contraintes budgétaires, et Bad Boy Bubby en est un brillant exemple.
© Nour Films
Après des expériences avec le business du cinéma plutôt malheureuses, de Heer avait décidé d’être totalement libre sur ce projet et de le tourner les week-ends avec le personnel disponible. Au final, c’est pas moins de trente-deux directeurs de la photographie qui ont participé au film dont l’écriture a elle même évolué sur plus de dix ans. Moins une contrainte qu’un concept, cette manière de tourner a apporté un vrai plus au film. Quand Bubby découvre le monde tel un enfant émerveillé, après avoir été séquestré les premières trente-cinq années de son existence par sa mère, l’univers s’ouvre et explose en mille couleurs. Du coup, de Heer a fourni une séquence à chaque directeur de la photographie sans qu’ils soient au courant de ce qu’allaient faire les autres. En revanche, les parties initiale et finale ont été assurées par la même personne. Cette richesse visuelle est devenue un véritable atout du film, dans lequel on passe du rire aux larmes, de l’effroi au délire, du dégoût à l’extase. Il fut d’ailleurs tourné en Scope avec des objectifs anamorphiques. Autre aspect fondamental, qui en fait un exercice de style quasi expérimental, c’est le travail sur le son. De Heer a toujours été pointilleux dans ce domaine et il a essayé avec ce film un système singulier où les micro-enregistreurs étaient placés dans la perruque de l’acteur principal - juste à côté de ses oreilles - afin que nous puissions entendre exactement les mêmes choses que lui et afin de nous placer de son point de vue. Cet effet est particulièrement bien rendu en salle de cinéma, notamment avec cette version restaurée à la George Eastman House de Rochester aux USA, le plus ancien musée de la photographie du monde et un des plus vieux en matière d’archives photographiques. Cette restauration a été faite en coproduction avec Vertigo Productions (Australie), Nour Films (France) l’Australian National Film & Sound Archive et la George Eastman House. Le son a été lui même remasterisé et augmenté en 5.1.
© Nour Films
On parlait à l’instant de l’acteur et le film repose entièrement sur la performance hallucinée de ce comédien trop peu connu qu’est Nicholas Hope. L’ayant découvert dans un court métrage de 1989, Confessor Caressor, où il jouait un homme qui rêve de devenir un tueur en série, Rolf de Heer sut instantanément que ce serait son personnage et il fit tout pour le traquer et le convaincre. Étrangement, le personnage de Bubby possède toutes les caractéristiques du héros selon Rolf de Heer : un marginal solitaire, qui vit dans l’isolement et qui échappe à un lourd passé pour découvrir le monde, et la vie tout simplement. Cela peut se faire par le biais de la musique comme dans Dingo, tout comme Bubby va se révéler à lui même en devenant le frontman d’un petit groupe de rock indépendant. D’ailleurs, il est fascinant de s’attarder sur le rapport à la musique dans le film. Les scènes les plus oniriques - et presque irréelles - y sont toujours liées. On pense notamment à cette chorale de l’Armée du Salut qui chante en pleine rue ou cet orchestre de cornemuses alors que Bubby est sous les verrous. Car Bad Boy Bubby est un film musical, plus encore c’est une véritable symphonie. Si les éructations de Bubby sur scène peuvent faire penser aux Birthday Party, le groupe mythique de Nick Cave, même la première partie, où Bubby est enfermé dans l’appartement, est une sorte de pièce sonore abstraite où le silence en serait l’élément majeur.
© Nour Films
De l’obscurité vers la lumière, du silence vers les décibels, de l’innocence vers la connaissance, de la violence vers le partage, le film reprend cette idée philosophique ancestrale du mythe de la caverne, et obéit à la structure picaresque du conte d’initiation, où une rencontre succède à une autre. Violé et maintenu dans un stade infantile par sa mère (incroyable Claire Benito), celle-ci le garde à l’intérieur car, selon ses propos, l’air à l’extérieur est pollué et dangereux. Un masque à gaz lui est nécessaire quand elle doit s’absenter. Condamné à vivre dans ce petit espace sombre qu’est l’appartement - en sous-sol semble-t-il - où il partage le lit avec sa génitrice, il n’a qu’un chat pour s’amuser. Mais la folie morbide de sa mère l’empêche d’avoir toute notion du bien et du mal, d’où son état d’hébétude quand il étouffe l’animal avec un sac plastique. Son monde va, cela dit, s’élargir un peu quand son père alcoolique (Ralph Cotterill) - et prêtre à l’occasion - refait surface après plusieurs décennies d’absence ! Jaloux de devoir partager sa mère, Bubby leur fait subir le même sort qu’au chat et s’enfuit. D’abord terrifié, il s’aperçoit bien vite que sa mère lui a menti pendant toutes ces années et il va devoir apprendre le langage et les codes de la société. Tel un enfant, il commence par imiter tout ce qu’il voit et entend. Mais voilà, Bubby n’a pas du tout le physique d’un gamin. Il se confronte alors à la civilisation dans ce qu’elle a de plus trivial, de plus beau et de plus abject aussi. Car la violence du monde extérieur est terrible aussi. Dans un moment désespéré, il retournera même sur les lieux où il a grandi pour pleurer. Superbe film sur la folie du monde, Bad Boy Bubby a valeur d’allégorie et de satire en même temps, et il faut bien dire que la religion en prend pour son grade. Malgré le discours d’un scientifique sur l’absence de Dieu, et le fameux "Fuck you, God !" de Bubby, le personnage a pourtant bien droit à une rédemption à la fin, même s’il ne fait aucun doute que le film a été fait par une personne athée.
© Nour Films
De par son innocence Bubby est un personnage attachant, mais il peut aussi se faire terrifiant (ses meurtres au sac plastique, son regard électrique sur scène). Ne connaissant pas les règles de bienséance, il regarde toutes les convenances avec un regard amusé. La civilisation moderne apparaît comme un incroyable chaos généralisé. Proposer de faire un film du point de vue d’un personnage psychologiquement perturbé était un pari osé pour Rolf de Heer. Il y parvient merveilleusement et aligne les scènes mémorables (l’homme à la tronçonneuse, l’éloge des fortes poitrines avec poupée gonflable, etc.). Ce qui est intéressant, c’est que même la "normalité" et les codes moraux peuvent sembler grotesques dans un tel contexte. Qui sont les plus fous entre les parents d’Angel et de Bubby ou leurs progénitures ? Il ne fait aucun doute que les enfants paient les séquelles de cette éducation. Mais au final, le film nous montre que tout le monde a droit à l’amour, l’amitié, l’admiration et la gloire. Rolf de Heer nous amène à revoir les concepts de beauté et de tolérance. Les scènes avec les handicapés sont particulièrement fortes et touchantes à ce niveau. On remarquera d’ailleurs la performance déjà troublante de Heather Rose, qui sera l’héroïne d’un des films suivants du réalisateur, Dance me to my Song, qui avait fait aussi scandale à sa sortie.
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Film cathartique et libérateur, tour à tour macabre, hilarant, émouvant ou juste déjanté, Bad Boy Bubby est un long métrage d’une richesse étourdissante, qui se bonifie à chaque visionnage. Si la première fois n’est pas forcément agréable, cela le devient à la seconde ou troisième fois, car nous pouvons nous attarder sur telle trouvaille ou tel détail. Le film est un peu comme le chant de Bubby, il colle des tas d’éléments disparates qu’il a retenu du monde et il les met bout à bout pour créer un nouveau langage. Malgré le caractère éprouvant de certaines étapes brutales traversées par Bubby, l’espoir et l’acceptation se trouvent au bout du chemin. À la fin, Bubby devient une icône, un personnage que les fans veulent imiter, s’habillant comme lui, ce que la réalité a d’ailleurs confirmé. Il devient une figure héroïque dans un monde dégénéré et absurde. Courrez voir ce film libre et qui n’a peur de rien car Bad Boy Bubby est une expérience rare, à vivre et revivre.
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