Clinique de l’amour
Le 9 janvier 2016
Film en costumes déjouant habilement les affres de l’Histoire, le premier film d’Alice Winocour déploie son axe sur la question des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. Des pistes posées, mais pas encore toutes exploitées...
- Réalisateur : Alice Winocour
- Acteurs : Grégoire Colin, Chiara Mastroianni, Vincent Lindon, Sophie Cattani, Olivier Rabourdin, Soko, Roxane Duran
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Français
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 1h42mn
- Date de sortie : 7 novembre 2012
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Cannes 2012
Résumé : Paris, hiver 1885. À l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, le professeur Charcot étudie une maladie mystérieuse : l’hystérie. Augustine, dix-neuf ans, devient son cobaye favori, la vedette de ses démonstrations d’hypnose. D’objet d’étude, elle deviendra peu à peu objet de désir.
Critique : Un soupçon hante le premier film d’Alice Winocour, le soupçon qu’il ne s’agisse pas là tout à fait d’un film historique. Décor, costumes, imagerie nous renvoient assurément à ce dernier quart de XIXe siècle hanté par des spectres aussi repus que la toute-puissance de l’argent bourgeois et la foi inébranlable en la science. Mais le récit résiste. Il est aspiré vers une ligne beaucoup plus pérenne, celle des rapports de désir et de domination entre les hommes et les femmes. Augustine a un grand mérite, c’est celui de la clarté extrême de son sujet, que le film ne se lasse pas de traiter une seule seconde. Plus que le parcours d’une femme, c’est celui d’une femme face à un homme qui nous est ici raconté : exister face à Charcot, exister avec lui, pour éventuellement tenter d’exister sans lui, la question reste fondamentalement la même, et cette interprétation de la relation trouble entre l’illustre médecin et sa patiente offre une perspective réussie du problème de l’aliénation. Le point de vue de la jeune femme est tenu avec rigueur et précision par le scénario, ce que vient confirmer la performance « intérieure » et embrumée de Soko, femme avant d’être patiente, domestique ou hystérique. Elle parvient, parfois tant bien que mal, à dompter l’écran face à la présence imposante de Vincent Lindon, Charcot voûté et massif qui impose souvent, à l’image de sa relation avec Augustine, le rythme de l’action.
Si Augustine laisse malgré tout un parfum d’inachèvement, c’est qu’il choisit de prendre un segment de la vie de cette femme, sans peut-être en déployer toutes les possibilités narratives. Tandis qu’une partie du corps central du film souffre de quelques longueurs, on aurait à l’inverse l’envie que la dernière séquence nous amène vers un recommencement de l’histoire, un souffle nouveau – et pourtant, elle coupe net, nous laissant indécis et un peu frustrés. Il est intéressant d’avoir fait basculer la figure de Charcot le rationaliste sur un versant sombre et magnétique ; reste que le désir d’Augustine pour son médecin est rapidement donné d’un seul bloc, comme un élément qui peinerait à évoluer dans le récit jusqu’à consommation ou déception de son objectif. Que la volonté d’Augustine mette subitement Charcot en danger – vis-à-vis de lui-même, de son environnement familial et de son corps de métier –, le scénario l’expose explicitement, mais la vision du film laisse subsister l’impression inverse : c’est bien Charcot qui occupe l’espace et qui réussit à retenir Augustine au statut de patiente. Les moments clés du trajet d’Augustine – de sa première « comparution » devant l’assemblée des médecins jusqu’à ses tentatives de rébellion – en perdent malheureusement de leur force, jugés relativement au pouvoir qu’exerce encore le médecin sur elle. Que le sujet se précise sur la question des rapports de pouvoir est un enjeu passionnant ; en voilà ici tracée la simple esquisse.
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roger w 17 novembre 2012
Augustine - la critique
Très joli premier film, Augustine explore avec un réel talent d’écriture et une beauté plastique absolument époustouflante la fin du XIXème siècle et son questionnement sur les maladies liées à la psychologie. Avec beaucoup de sensibilité, la réalisatrice retrace le parcours hésitant de Charcot, sa prescience des problèmes de l’inconscient (préparant ainsi le terrain à Freud qui fut son élève). Mais le film est également un magnifique portrait d’une société où les femmes étaient enfermées dans un carcan social contraignant. Beau film de femme donc et beau film tout court par son esthétique très travaillée. Un grand bravo à Soko.