Le 4 décembre 2015
Un jeu de massacre adouci par le regard porté sur Geraldine Chaplin.
- Réalisateur : Carlos Saura
- Acteurs : Geraldine Chaplin, Fernando Fernán Gómez, José María Prada, Rafaela Aparicio, José Vivo, Marisa Porcel
- Genre : Drame
- Nationalité : Espagnol
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Editeur vidéo : Tamasa
- Durée : 1h38mn
- Date télé : 29 juillet 2024 23:02
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 6 janvier 2016
- Titre original : Ana y los lobos
- Date de sortie : 9 octobre 1974
- Festival : Festival de Cannes 1973, Festival de Berlin 1973
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Résumé : L’arrivée de la belle Anna bouleverse la vie d’une famille bourgeoise espagnole. Les névroses, peurs et désirs des quatre membres de la famille s’exacerbent à son contact.
Critique : Sans dévoiler la fin, on est surpris si l’on a déjà vu Maman a 100 ans, de comprendre que cette « suite » d’Anna et les loups est diégétiquement impossible, sauf à considérer cette fin comme un fantasme, ou qu’il ne s’agit pas d’une suite, mais d’une alternative, ou que, comme d’habitude, Saura joue avec le réel, se moquant de notre propension à chercher du « vraisemblable » à tout prix. Car du jeu, derrière une histoire tragique et métaphorique, il y en a partout, et surtout, un jeu de massacre dans lequel le cinéaste espagnol règle ses comptes avec la société franquiste, mettant au jour les frustrations et les contradictions d’un monde gangrené par une hypocrisie formidable.
Anna arrive dans une grande maison bourgeoise pour y être gouvernante. Moins innocente qu’il n’y paraît (Saura adore cadrer sa compagne dans des positions semi-provocantes), elle déchaîne les passions de trois frères : Fernando, qui rêve d’être ermite mais se goinfre en cachette ; Juan, mari et père de famille qui couche avec la bonne et écrit des lettres érotiques en secret ; et José, fasciné par les uniformes et la musique militaire, « pater familias » autoritaire mais qui pleure dans les jupes de sa mère. Or ces personnages, névrosés, pervers, vivent en autarcie et représentent chacun une institution (l’armée, la famille et l’Église) chère à l’extrême droite. C’est là que Saura retrouve sa verve satirique, dévoilant l’hypocrisie d’un monde fondé sur des apparences respectables : et c’est un régal ! Anna sert de révélateur, ridiculisant José qui tire sur un oiseau mécanique ou Fernando qui coupe les cheveux des poupées. Évidemment, elle ne peut que payer ses audaces et la tension qui monte tout au long du film éclate en une séquence brève et violente, conclusion abrupte autant que surprenante.
Mais si Saura fait montre d’une force dénonciatrice, il n’en reste pas à cette dimension volontiers caricaturale : ainsi flirte-t-il avec le fantastique dans deux séquences liées à Fernando. L’une, évidente, le montre en train de léviter (y a-t-il là une moquerie, ou une admiration secrète pour les ermites ?) ; l’autre est une « vision » de la famille révélée, saisie en plan général percutant. Mais la force du film réside aussi dans la description d’un monde (le sien, le nôtre) qui repose sur les bas instincts (tout le monde s’épie, se dénonce) et dans lequel la pureté n’existe pas : même les fillettes, présentées comme des petits anges, se régalent de détails sordides et assistent comme au spectacle aux crises de leur grand-mère. Malgré ses outrances, Saura analyse en finesse l’humanité, mais une humanité noire, toujours capable du pire.
Enfin, et peut-être surtout, le film est une déclaration d’amour à Geraldine Chaplin, omniprésente, qui n’a jamais été aussi belle, avec ses mines faussement naïves, son mélange d’ingénuité et de perversité, ses tenues sensuelles (même la robe de bure prend une dimension érotique) ; à travers elle, Saura célèbre la Femme, en des plans d’une délicatesse inattendue qui sont comme un contrepoint au jeu de massacre violent et jouissif.
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