Ne retiens pas tes larmes
Le 23 octobre 2014
La progressive et sournoise descente aux enfers d’une jeune fille mise au ban de la société à la suite d’un viol collectif.
- Réalisateur : Lee Su-jin
- Acteurs : Jung In-sun, Kim So-young, Cheon Woo-hee
- Genre : Drame
- Nationalité : Sud-coréen
- Durée : 1h52mn
- Titre original : Han Gong-ju
- Date de sortie : 19 novembre 2014
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival du Film Asiatique de Deauville 2014
L'a vu
Veut le voir
Pour son premier film en tant que réalisateur et scénariste, Lee Su-jin propose une réflexion sur le statut des femmes dans une société sud-coréenne où les victimes dérangent et sont brisées par le poids des conventions et de l’opprobre public.
L’argument : Han Gong-ju, une jeune lycéenne, se retrouve impliquée malgré elle dans une histoire sordide. Délaissée par ses parents et contrainte de s’inscrire dans un autre établissement, elle emménage chez la mère d’un enseignant. Victime des circonstances et n’ayant rien à se reprocher, Gong-ju doit tout faire pour éviter d’attirer l’attention sur elle... Mais un jour, Eun-hee, une nouvelle camarade de classe qui fait partie du club de chant a capella du lycée, découvre les prédispositions de Gong-ju au chant et décide de lui proposer d’intégrer la chorale.
Notre avis : Le système scolaire sud-coréen fascine (et inquiète) tellement qu’il se retrouve régulièrement en tête des sujets abordés par les cinéastes originaires de Corée du Sud. Ils dépeignent ainsi la pression qui s’abat sans cesse sur des étudiants à qui on en demande toujours plus, au cœur d’une société où la réussite est primordiale et où les parents sont prêts à tout pour assurer l’avenir de leur progéniture, quitte à les couvrir lorsqu’ils commettent un crime impardonnable.
En se basant sur un fait divers sordide qui le hante depuis qu’il en a pris connaissance dans les journaux, le réalisateur Lee Su-jin s’interroge sur ce système qui est de plus en plus décrié, tant il dissimule le mal-être d’une société qui se débat dans ses propres règles. Il met en scène avec un incroyable souci du détail le destin tragique d’une jeune fille qui subit une double peine : un viol collectif d’une part, et la difficulté de s’en sortir d’autre part.
{{© Deauville Asia}}
Encore lycéenne, la jeune Han Gong-ju se voit contrainte de changer d’établissement à la suite de son agression. Séparée de ses amis et de ses repères, elle ne peut compter que sur elle-même pour s’en sortir, entre une mère absente et un père alcoolique. Son statut de victime est sans cesse remis en cause par son entourage : son ancien professeur tente de l’aider tout en s’effaçant petit à petit, la femme chez qui elle loge ne cherche pas à la
préserver, tout comme la police qui n’intervient que pour tenter de lui
faire retirer sa plainte. Cette fameuse plainte qui est, justement, l’objet
de tous les désirs et de tous les griefs possibles.
{{© Deauville Asia}}
En osant porter plainte et en se défendant, Han Gong-ju a ouvert la boîte de Pandore qui révèle tous les travers d’une société qui cherche à stopper tout ce qui pourrait empêcher la réussite scolaire de certains au détriment d’autres. Car en cherchant à faire arrêter ses agresseurs, la victime s’attire les foudres de ses professeurs, qui l’estiment responsable ainsi que de son père qui voit le profit qu’il peut tirer du viol de sa fille en recevant de l’argent pour qu’elle abandonne les poursuites. La toile d’araignée qui se referme peu à peu sur Han Gong-ju pour mieux l’étouffer et l’empêcher de parler atteint son paroxysme lorsque les propres parents de ses agresseurs débarquent dans son nouveau lycée pour lui faire promettre de laisser leurs enfants tranquilles. La scène, d’une violence inouïe et qui est une nouvelle agression, n’est que le début d’une étape supplémentaire dans la descente aux enfers d’une jeune fille innocente qui va peu à peu perdre tous ses appuis, pour se retrouver complètement seule avec sa peine et ses souvenirs.
- {{© Deauville Asia}}
Dans un film où la noirceur semble englober aussi bien les personnages que le public, chaque flash-back montrant le calvaire subi par Han Gong-ju casse le rythme, en relatant petit à petit le déroulement des faits. A chaque fois que son personnage connaît un moment de bonheur et de quiétude en vivant l’instant présent, un nouveau retour en arrière vient rappeler l’horreur de ce qu’elle a affronté et pose la question de son rétablissement. Alors qu’elle pratique la natation comme un exutoire, le chant est surtout un moyen pour elle de s’exprimer et d’oublier son passé le temps d’une chanson. Mais est-ce vraiment un bien ?
{{© Deauville Asia}}
En rencontrant de nouvelles amies et en leur révélant par inadvertance la beauté de sa voix, Han Gong-ju s’est mise en danger. Dans un pays à la pointe des nouvelles technologies, où tout passe par les réseaux sociaux et où la moindre scène de la vie quotidienne est filmée, elle sait qu’elle doit cacher son visage et se montrer discrète. Mais en postant une vidéo d’elle en train de chanter sur le net, ses amies ne se rendent pas compte du danger que leur nouvelle copine, dont elles ignorent tout, va devoir affronter. Reconnue par ses agresseurs et en même temps repérée par une maison de disque grâce à cette vidéo, la jeune fille ne peut que constater qu’elle aurait pu devenir chanteuse et réaliser son rêve grâce à ses talents d’interprète et de musicienne, si son viol n’avait pas eu lieu.
{{© Dissidenz Films}}
Condamnée à rester cachée afin d’empêcher ses agresseurs et leurs parents de la retrouver et de la harceler, elle subit bien davantage qu’eux les conséquences de son agression, notamment parce que son viol a été filmé et peut être visionné sur le net par tout un chacun. Il faut dire que rien n’est fait pour la préserver, notamment du côté de la police qui la soupçonne sans cesse de s’être montrée consentante et tente le tout pour le tout pour la déstabiliser, allant jusqu’à la mettre en présence de ses violeurs au commissariat pour observer sa réaction. En dénonçant un contexte social qui détruit psychologiquement une jeune fille prometteuse, le réalisateur Lee Su-jin cherche à éveiller les consciences, principalement dans son pays. Car si la Corée du Sud est célèbre pour détenir le triste record du taux de suicide le plus important chez les jeunes au monde, devant le Japon, il y a fort à
parier que la pression que les étudiants subissent n’est pas étrangère
au phénomène.
En prenant l’agression que subit une jeune fille comme point de départ, le cinéaste, dont c’est le premier long métrage, mène une réflexion sur le suicide, la honte et la réputation que l’on se doit de préserver dans une société qui montre du doigt sans réfléchir aussi bien dans la vie de tous les jours qu’au cœur d’un monde virtuel auquel il faut sans cesse rendre des comptes. Cette habitude très moderne de tout raconter sur Internet au détriment de la vie privée et du bon vouloir de la personne concernée est d’ailleurs l’un des éléments qui permet de transposer l’action du film dans un autre pays que la Corée du Sud, où le suicide, après une humiliation publique, est pour beaucoup d’étudiants la seule solution possible.
En filmant de façon crue et sans concession la façon dont une victime est broyée par le système, Lee Su-jin peint le portrait brutal et salvateur, d’une jeunesse coréenne égarée qui laisse des traces indélébiles longtemps après la projection.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.