La forêt enchantée
Le 17 juin 2020
Pour ce nouveau voyage psychanalytico-érotique aux confins du réel, les frères Larrieu font du langage et de la nature un acte libérateur. Beau film cosmique touché par la grâce.
- Réalisateurs : Jean-Marie Larrieu - Arnaud & Jean-Marie Larrieu
- Acteurs : André Dussollier, Isabelle Carré, Denis Lavant, Sergi López, Karin Viard
- Genre : Comédie dramatique, Comédie poétique
- Nationalité : Français
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 1h55mn
- Date télé : 17 juin 2020 20:55
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 25 novembre 2015
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Résumé : Au cœur de l’été, Caroline, parisienne et mère de famille d’une quarantaine d’années, débarque dans un petit village du sud de la France. Elle doit organiser dans l’urgence les funérailles de sa mère, avocate volage, qu’elle ne voyait plus guère. Elle est accueillie par Pattie qui aime raconter à qui veut bien l’écouter ses aventures amoureuses avec les hommes du coin. Alors que toute la vallée se prépare pour les fameux bals du 15 août, le corps de la défunte disparait mystérieusement.
- © Pyramide Distribution
Critique : À son arrivée dans ce hameau de l’Aude perdu dans une nature luxuriante et impénétrable, Caroline emprunte littéralement un chemin de croix. Depuis le calvaire tangible sur la place du premier lieu-dit où la dépose le taxi jusqu’à la gigantesque maison de sa mère défunte, son parcours se présente comme une descente sans fin. Chute dont le point le plus bas n’est autre qu’une piscine, alors occupée par trois hommes nus - éphèbes sur le retour sonnant comme un substrat de désir rentré pour Caroline. Leur franche nudité dans ce jardin à la lumière crue tranche avec la présence désincarnée de la jeune femme. Cet espace organique proche de l’Éden, avec son eau matricielle - simili amniotique - invite Caroline à renaître, à embrasser le monde qui l’entoure. Débute un parcours initiatique épineux la condamnant à s’extraire de l’à-côté dans lequel elle est piégée, cet intervalle où ni les sens ni l’émotion n’affleurent. La dépression, pathologique, est inconsciente chez Caroline. Et c’est par l’entremise du corps de sa mère décédée quelques jours plus tôt, puis via sa rencontre avec Pattie, dont la logorrhée affranchie et frivole agit sur elle comme un catalyseur, que la jeune femme va réapprendre à s’ouvrir au monde. Parce que sa mère, même dans la mort, semble plus vivace qu’elle dans la vie, Caroline reprend peu à peu goût pour les sens. Mais ce retour d’entre les morts ne serait rien sans le verbiage de Pattie qui, avec ses récits lubriques, pénètre l’inconscient de Caroline. Si le sexe n’est jamais vraiment montré dans 21 nuits avec Pattie, celui-ci se raconte avec une précision aussi licencieuse qu’hilarante. Le rôle joué par le langage, quoique méthodiquement tourné vers cette jouissance potentiellement reconquise, agit à deux niveaux : d’une part avec Pattie et ses histoires salaces pléthoriques, de l’autre avec Jean et sa faconde morbide, écrivain endeuillé aux faux airs de Jean-Marie Le Clézio. Deux faces d’une même pièce que sont l’Éros et le Thanatos, qui invitent Caroline à jouir des sentiments de manière paroxystique, dans l’amour dévorant, le désir charnel comme dans la peine. Comme s’il était question de substituer au vide laissé par le corps enlevé de sa mère cette effusion de sensualité. On notera une très belle utilisation du format d’image 1:33, métaphore des frustrations de Caroline, remplacé par le format 1:85 pour signifier la libération, lorsqu’elle cesse d’être en dehors d’elle-même.
- © Pyramide Distribution
La force de cette intrigue psychanalytico-érotique tient à la nature opulente dans laquelle elle prend racine. Omniprésente, cette dernière donne l’impression d’une entité surnaturelle régissant les protagonistes. Avant de se laisser happée telle Pattie par la fièvre de la nuit et ses débordements sensuels, Caroline explore avec elle les sous-bois foisonnants et enchanteurs. C’est là-bas plus tard qu’elle tombe sur des champignons en forme de pénis, et dont l’odeur lui rappelle inconsciemment ce stupre et cette impudicité qu’elle fuit depuis trop longtemps. La Lune, souvent pleine lors de son séjour dans la maison de sa mère, semble jouer un rôle cathartique. Jusqu’à baigner 21 nuits avec Pattie dans une transe cosmique saisissante. Si la beauté plastique du film n’est pas aussi tonitruante que celle du précédent long métrage d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, L’Amour est un crime parfait, son caractère hybride à mi-chemin entre le conte fantastique et la comédie dramatique classique en fait un nouveau jalon de référence dans la carrière des deux frères cinéastes. Un exercice dans lequel brille une nouvelle fois Karin Viard, décidément à l’aise avec la sensualité et l’exubérance. Mais aussi Isabelle Carré, dont les modulations du jeu et du regard sont assez géniales. Difficile, enfin, de rester insensible aux autres protagonistes gravitant autour des deux femmes, qu’il s’agisse de Jean (André Dussollier), de Manuel (Sergi López ) ou encore d’André (irrésistible Denis Lavant).
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