Le 24 avril 2022
Témoignage des seventies et ses mouvements de pensée, teinté de beaux portraits de femmes assumant leurs imperfections salvatrices, le tout dépouillé de tout moralisme bâtard, 20th Century Women touche au sublime. Une éducation sentimentale à marquer d’une pierre blanche.
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- Réalisateur : Mike Mills
- Acteurs : Billy Crudup, Annette Bening, Elle Fanning, Greta Gerwig , Lucas Jade Zumann
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Mars Distribution
- Date télé : 23 juin 2024 23:25
- Chaîne : OCS Pulp
- Date de sortie : 1er mars 2017
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Résumé : Santa Barbara, été 1979. L’époque est marquée par la contestation et d’importants changements culturels. Dorothea Fields, la cinquantaine, élève seule son fils Jamie. Elle décide de faire appel à deux jeunes femmes pour que le garçon, aujourd’hui adolescent, s’ouvre à d’autres regards sur le monde : Abbie, artiste punk à l’esprit frondeur qui habite chez Dorothea, et sa voisine Julie, dix-sept ans, aussi futée qu’insoumise…
Critique : Après Âge difficile obscur et Beginners, Mike Mills s’attaque à l’(extra)ordinaire destin de trois femmes : Julie, une adolescente rebelle ; Abbie, une photographe punk à l’esprit fécond ; et Dorothea, mère du petit Jamie, chacune au carrefour de leur existence, toutes trois troublées et perdues dans la Californie de 1979. Telle une plongée tête-en-avant dans l’état psychologique et émotionnel de ces femmes mutiques et tourmentées, la mise en scène est entièrement pensée selon le regard féminin et, par extension, la perception du monde selon la Femme, de la sphère familiale aux pérégrinations de Jamie. Le cœur du film demeure l’éducation de Jamie par ces trois femmes aux parcours de vie très différents. En l’absence de figure paternelle, Jamie deviendra le porte-étendard des idéaux de ces femmes conquérantes. Mike Mills transforme alors son film en véritable essai politique en démontrant qu’il subsiste une alternative à l’éducation hétéronormée adepte au male gaze, terme anglophone présentant le fait que la culture a toujours été influencée et pervertie par une perspective masculine, en privilégiant le regard féminin.
- © Mars Distribution
Dès lors, comment peut-on se construire en tant qu’homme ou femme en s’affranchissant des codes du male gaze influençant notre perception du monde pour épouser notre moi véritable ? C’est tout le programme du film. En effet, 20th Century Women se déroule à une époque de grande libéralisation des mœurs avec l’accessibilité à la pilule, l’émergence de l’industrie pornographique et les débuts de la représentation de la communauté LGBTQ dans le monde du cinéma. Mills se plaît à citer des ouvrages fondateurs du féminisme, ce sans jamais paraître moralisateur, tout en évoquant certaines thématiques inhérentes à la révolution sexuelle insufflée dix ans plus tôt à travers la contraception, le test de grossesse ou encore l’éducation sexuelle. Une séquence délicieusement drôle voire équivoque atteste du caractère profondément politique de 20th Century Women, où Jamie explique à un garçon le principe du cunnilingus et de l’orgasme dans une époque où le plaisir féminin demeurait inexistant. Mills transforme ces instants de vie en odyssée intimiste et mélancolique anti-spectaculaire où l’on se plaît à voir tous ces personnages éclore, penser, s’interroger sur leur époque, leur avenir et reconsidérer leur place dans l’univers.
- © Mars Distribution
Métaphore sur l’inexorable temps qui passe, la révélation d’un confort de vie illusoire et la quête du bonheur, 20th Century Women se veut finalement comme un prolongement de la filmographie de Mike Mills dans son traitement minutieux de la crise existentielle de ses protagonistes malmenés par les terribles torrents de la vie. Aujourd’hui, la mère de famille Dorothea, incarnée par la formidable Annette Benning, doit se recentrer sur elle-même, sur ce qu’elle espère de son existence et, plus encore, se questionner sur cette charge mentale incommensurable qui l’accompagne depuis la naissance de Jamie : s’occuper d’un enfant. Elle qui ne reconnaît même plus son fils, incapable de saisir toute sa complexité à l’orée de l’adolescence. Cette ambivalence qui existe entre le féminin et le masculin qui, d’une certaine manière, se refusent d’être cantonné dans une catégorie de genre, est l’une des clés de voûte qui fait de 20th Century Women un film intensément générationnel et libertaire. Tandis que les femmes se libèrent sexuellement, les hommes se révèlent peu à peu sensibles, faillibles, capables de dévoiler leurs sentiments. Ode au combat politique de tous les instants, lettre d’amour au cinéma, recueil poétique d’un passé insondable, 20th Century Women, c’est tout ça à la fois. Une belle parenthèse dans les couloirs du temps où son auteur peut enfin user du magnifique pouvoir de la fiction pour fuir, le temps d’une séance, la réalité qui nous rattrapera. Insaisissable, inextricable, éblouissant.