La Mort aux trousses
Le 29 novembre 2020
Plus qu’un banal hommage aux militants d’Act Up Paris, 120 battements par minute esquisse la silhouette sensible d’une génération d’oubliés. Portrait sensuel et évanescent au carrefour des Revenants et d’Eastern Boys.
- Réalisateur : Robin Campillo
- Acteurs : Adèle Haenel, Nahuel Pérez Biscayart, Antoine Reinartz, Aloïse Sauvage, Arnaud Valois, Félix Maritaud, Coralie Russier
- Genre : Drame, LGBTQIA+
- Nationalité : Français
- Distributeur : Memento Distribution
- Durée : 2h15mn
- Date télé : 15 mai 2024 21:00
- Chaîne : France 4
- Reprise: 29 novembre 2017
- Box-office : 834.991 entrées France
- Date de sortie : 23 août 2017
- Festival : Festival de Cannes 2017, Les César 2018
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Résumé : Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up Paris multiplient les actions pour lutter conre l’indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean qui consume ses dernières forces dans l’action.
Critique : Avec Les Revenants (2004), Campillo ravivait le genre du fantastique tout en s’en remettant à une pure croyance : celle d’un cinéma des prémisses dépourvu d’effets où seule compte l’atmosphère. Film qui plus tard fit l’objet d’une adaptation avec l’extraordinaire série éponyme diffusée sur Canal +. Puis le retour au cinéma du réalisateur s’accomplît avec Eastern Boys en 2013, où son regard sonde autant les corps que les jeux de domination du masculin. Quelque part, 120 battements par minute reprend ces deux tonalités pour les assembler en une seule. Le film met ainsi en scène conjointement deux combats : celui du collectif Act Up déjouant le mépris des groupes pharmaceutiques, de l’opinion publique et d’un gouvernement insensible à sa cause, puis celui plus intime mené par Sean et Nathan. D’un côté la bataille de morts-vivants joyeux et fantasques cherchant à ralentir la mort, de l’autre celle de deux amants passionnés - excellents Nahuel Perez Biscayart et Arnaud Valois - se débattant contre des sentiments éphémères.
- ©Celine Nieszawer
120 battements par minute prend initialement l’allure d’un biopic focalisé sur les années les plus mouvementées d’Act Up, l’heure où la nécessité de bousculer les certitudes de l’opinion fait figure d’absolu. On voit le collectif rassemblé en assemblée générale débattre de la nature de ses actions futures, réfléchir à de nouvelles formes de communication. Mais si Robin Campillo prend le temps d’une radioscopie minutieuse de l’association militante jusque dans son bras de fer avec le pouvoir, ses questionnements et ses doutes, ce qui l’intéresse avant tout, c’est de représenter par petites touches successives à la manière d’un peintre la palette de sentiments de ses personnages. Dévorés de l’intérieur par un virus auquel personne ne daigne prêter attention, stigmatisés par les observateurs de tous horizons, intellectuels et journalistes compris - seul le quotidien Libération prend leur défense, tandis que Baudrillard leur manifeste à l’époque une homophobie latente -, ces jeunes cernés par la mort trouvent même en l’anéantissement une forme de dignité et de désir. Pour traduire cette soif de vie, le regard du cinéaste s’attarde sur leurs visages et leurs corps, mais aussi sur des particules étranges les enserrant comme pour symboliser la fatalité.
- ©Celine Nieszawer
Dans cet univers fraternel autant qu’impitoyable, les langues parfois se délient et la moindre anecdote racontée par un personnage se voit parfois insérée dans le récit en guise de flashback. Où le plus petit détail, aussi insignifiant qu’il puisse paraître, revient au premier plan. Façon d’affirmer que dans ces derniers moments d’existence, la chose lyrique se déclare souvent là où on ne l’attend pas. Alors que le groupe est arrêté par les forces de l’ordre en pleine action au siège d’un laboratoire pharmaceutique, Campillo élude leur garde à vue pour mieux s’intéresser à leurs échanges une fois sortis au crépuscule dans le métro. Avec un regard contemplatif sur le ciel meurtri juste avant que ne s’imposent les ténèbres, Sean s’autorise une remarque poétique. Ses camarades se moquent de lui, et il préfère tourner cette observation à la dérision. Pourtant, cette beauté dans le ciel qu’il évoque n’a rien d’anecdotique. Car c’est bien cette vérité larvée sous les apparences qui obsède Campillo. Lorsque ce dernier s’attarde sur la relation sexuelle entre Sean et Nathan et y intercale d’autres aventures charnelles que se racontent les deux partenaires, le film procède à l’identique : par repli sur et en ouvrant des brèches cathartiques.
- ©Celine Nieszawer
Plus qu’une piqûre de rappel qui viendrait nous remémorer les années sombres du sida et l’ostracisme dont sont victimes les homosexuels, plus qu’une allusion à l’intolérance qui continue aujourd’hui encore de gangréner la France malgré quelques récentes victoires, Robin Campillo crée une œuvre toute entière saisie par les pulsions de vie. Sans doute enfin est-ce lorsque 120 battements par minute tombe dans l’allégorie, le sensoriel et le métaphysique qu’il suscite le plus d’émotions. Act Up Paris rêva un jour que la Seine devienne rouge sang pour porter plus haut son message. Campillo réalise ce souhait dans un hommage d’une rare justesse.
– Film présenté en compétition du Festival de Cannes 2017 (Grand Prix du Jury)
– César du Meilleur film 2018
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